MARSEILLE RETRO

Marseille, c'est pas que...

marseille

La métropole d'aujourd'hui est vivante, colorée, en constante évolution,. Un tram discret et élégant, le quartier du Vieux Port devenu chic avec des boutiques, des rues propres et de beaux quartiers piétonniers. Pas grand chose à voir avec Marseille de 1984. Il y a 40 ans, la ville géante m'accueillait avec son agitation, ses odeurs puissantes, ses poubelles que le mistral éparpillait régulièrement dans les coins de trottoirs. Ses murs noircis par la pollution urbaine  n'étaient pas tagués, mais valait mieux pas s'y frotter. Je découvrais une ville sale, malodorante et bruyante. Quel choc ! Mais pas seulement. Je me suis laissée séduire par ce ciel immaculé (sauf les jours de mistral), la belle lumière qui inondait le Vieux Port, cette humanité incroyablement exotique. J'adorais déambuler, au hasard avec mon plan en poche. Le jeu, c'était de me perdre dans la ville immense.

Incomparable plaisir, saupoudré d'un rien d'appréhension... C'est vrai que j'y frôlais de drôles de loustics en ce temps-là.

clochard

Je débarquais du métro sur l'immense esplanade de la gare St Charles. Je m'arrêtais pour humer l'ambiance de la ville, éblouie par la lumière qui tombait du ciel. L'escalier monumental m'offrait une descente tranquille sur le boulevard d'Athènes.  Une faune peu recommandable y zonait, que j'ignorais. Je n'ai jamais été importunée.

J'avais trente-quatre ans, je découvrais le monde...

La Canebière offrait ses larges trottoirs à de somptueuses vitrines. Les piétons circulaient en évitant les clochards, affalés contre les murs, couverts de journaux ou de chiffons miteux,  Un accordéoniste égrenait dans l'indifférence totale le répertoire de Marcel Azzola, un chanteur à la voix désacordée massacrait joyeusement les airs de Brel. Un marionnettiste animait un Picasso de bois qui repassait inlassablement le même trait de son esquisse.

picasso

Une femme intriguée ralentit, son enfant à bout de bras, l'immobilisait.

- Attends maman, regarde !

Ils s'approchaient. Le gamin tendait la main pour toucher la marionnette sous le regard bienveillant du clochard. Quelques pièces tombaient dans le chapeau presque vide.

Je flânais sur le Vieux Port. Je rêvais. Un jour je m'embarquerais pour aller vers le château d'If et l'archipel du Frioul.

frioul

Ce jour là, j'avais décidé d'explorer le quartier de la cathédrale de la Major.

major

Mon intention était d'aller jusqu'à la place de la Joliette et revenir vers l'Evêché. Qui bien entendu tout magnifique hôtel qu'il soit n'a plus rien a voir avec le clergé. Il est devenu hôtel de police, toujours dédié aux usagers en détresse, finalement.

Donc, cap vers la Joliette en remontant la rue de la République et ses magnifiques immeubles hausmaniens, j'ai soudain ralenti. Trottoir babord, je croisais un passage sombre, étroit, pas très net,  qui semblait s'ouvrir sur une belle lumière. Intriguée, je me suis engagée dans le passage de Lorette. 

lorette

Depuis le  XIXème, ce passage était un "site de rencontres". On y trouvait casinos, music- halls...  je vous laisse imaginer la faune et l'ambiance un peu glauque qui s'y épanouissaient. Guère différentes alors. Je faisais gaffe où je posais mes pieds (ça puait vraiment la pisse et bien d'autres flaques non indentifiables).

L'escalier à ciel ouvert débouchait directement sur le quartier du Panier... Le Panier, quelle histoire ! C'est le Massilia des Phocéens, (peuple grec, 600 ans av JC) autrement dit c'est le village d'origine de Marseille. Il en a traversé des vies ce quartier depuis les Phocéens.

rue   rue 2

Lorsque j'ai découvert le Panier, il y a 40 ans, (rien à voir avec les photos actuelles proposées par Laurent). Autour de la rue du Panier, un labyrinthe de ruelles s'ouvraient sous mes pas. rue du Petit Puits, rue des Repenties, rue des Pistoles, rue du Refuge. Des junkies hallucinés déambulaient en gesticulant ou en tanguant d'un mur à l'autre des ruelles. Enfants chahuteurs et dépenaillés, femmes voilées aux regards fuyants qui rasaient les murs. Des jeunes filles, mal fagottées, grolles éculées, visage griffé par des masses de cheveux à moitié décolorés zonaient clope au bec. Depuis combien de temps n'ont-elles pas croisé de peigne ?  Des géants noirs fonçaient aveuglément en titubant, certains appliquaient sur leur nez des tampons d'Ether. Insoutenable vapeur de folie. Les façades délabrées, les portes déglinguées, les volets branlants, les fenêtres crasseuses et en ruines, les poubelles que le mistral avait magistralement éparpillées avec cette odeur sale et obsédante des quartiers à l'abandon, tout un décor en parfaite harmonie avec ce monde déjanté.  Aucun bruit urbain ne venait troubler cette ambiance feutrée. Si j'osais, je dirais, ne venait polluer cette ambiance.  J'avais l'impression de déambuler dans un monde secret. Je m'y sentais en sécurité. Je m'imprégnais de tout ça. J'étais fascinée par  ce monde marginal, si loin de mes amis Gombertois.

Place de lenche, des saltimbanques,  cracheurs de feu, mimes, musiciens, magiciens, exerçaient leur art pour les quelques badauds qui zonaient par là. Des artistes libres et désargentés. Y'avait guère de petites pièces dans  leur chapeau.

Seule la rue de la Charité qui mène à l'ancien hospice, avec ses murs aveugles, hauts et lisses semblaient épargnée par le sordide et l'insalubrité.

lorette

La rue du Panier, à peu près fréquentable est devenue mon village. Les rares commerces étaient tenus par des asiatiques besogneux, qui balayaient devant leur porte, maintenaient à peu près leurs locaux en état. J'y ai rapidement pris mes habitudes. Expatriée de l'Alsace, exilée de Touraine, je découvrais des produits nouveaux, des fruits étonnants, (litchis, mangues, fruits de la passion) des légumes venus d'ailleurs, champignons noirs, pousse de bambou, soja, nouilles chinoises, riz parfumé, pâte de tamarins avec une prédilection pour la patate douce et la chayote (cristophine), oignon rose, des épices inconnus... racines de gingembre, sechuan, curcuma, colombo, lait de coco, shutney....

Je me suis liée d'amitié avec Thanh, une bien jolie petite femme d'une cinquantaine d'années (enfin, l'âge je suis pas certaine, ça pouvait aussi bien être 30 que 50 ans...). Elle tenait la boutique familiale, mais je n'ai jamais rencontré sa famille qui logeait juste au dessus du magasin.

- Thanh, c'est féminin un prénom comme ça ?

- Oh oui, c'est un honneur de porter ce prénom.

- Et il veut dire quoi ?

- Pureté.

- Pureté c'est ton prénom, vraiment ?

- Vraiment.

Elle me gratifait de son sourire malicieux, qui lui fermait quasiment les yeux. Je n'insistais pas. Elle m'enchantait. Elle m'a rapidement adoptée. Elle m'offrait systématiquement un thé vert fumé que nous prenions dans son arrière boutique, en papotant. La douceur de sa voix m'hypnotisait. Elle butait sur les diphtongues. Alors, on oralisait ensemble. J'inventais des phrases imprononçables pour l'entraîner. "ouin ouin est bien loin de son pays..." "le pignon du pin d'Alep est délicieux"  On rigolait. Nous n'étions pas sérieuses du tout. Enfin si, quand on parlait cuisine. Elle me donnait des conseils d'utilisation et des recettes. Ma naïveté culinaire la réjouissait. Ah mes premiers rouleaux de printemps, mes premiers nems. On ne trouvait pas encore tout ça dans les supermarchés. On ne faisait pas son marché sur Amazon en ce temps là !

Elle m'a initiée à mes premières fondues chinoises avec l'appareil adapté tout alu, caquelon en couronne, creusé en son centre. Les braises déposées au fond du puits, chauffaient le bouillon parfumé qui mijotait dans la couronne. Des petites passoires dorées permettaient d'y plonger les carrés de poissons, de viande ou de légumes... saveurs dont le bouillon s'imprègnaient et enrichissaient la dégustation de la fondue. Plus on trempait, plus on aimait...

 

accoules
Riche de tous ces enseignements, mes sacs à bout de bras, je grimpais la Montée des Accoules, puis la rue du Moulin pour atteindre le sommet de la butte. Au XVIIème une quinzaine de moulins tournaient sur cette grande place au sommet de la bute. Il reste quelques vestiges de ces moulins dans les jardins privés. C'était le quartier chic du panier. Ici, on y croisait des marseillais, d'authentiques provençaux. De sympathiques enfants et leurs parents à l'accent chantant. Tout  ce bon monde déambulait autour de l'école, s'attardait sur les bancs. Il y avait des fleurs aux fenêtres. Les arbres de la place étaient taillés pour assurer une ombre discrète aux bancs alignés. Je croisais ici des gens du pays.

moulins

Et bien entendu, après cette sympathique pause marseillaise, mes pas me portaient vers la Vieille Charité. Comme bien des monuments de la ville, Pierre Puget, artiste marseillais incontournable,  en est l'architecte. Ancien hospice devenu centre culturel, lieux d'expositions éphémères et d'ateliers artistiques ou intellectuels... J'en ai passé des heures dans ce merveilleux édifice, aux lignes pures du XVIIème siècle.

VC

VC
Qu'en est-il aujourd'hui de ce beau monde ?

Mi décembre, j'ai décidé de renouer avec cet étonnant quartier, coeur antique de la métropole actuelle .

Épatée, émerveillée, enthouisasmée, oh là, là, que ce quartier est devenu beau.

rue 1 H

Les bâtissses ont été rénovées, les seuils sont devenus des vitrines où se développent toutes sortes d'artisanat, vitraux, santons, verrerie, ébènisterie, peinture, sculpture... j'y ai même croisé "les semaines de la philosophie"...

Les ruelles sont fleuries, colorées. Certains murs sont dédiés au stree-art, musée à ciel ouvert, art éphémère en constante évolution...

C'est vrai que le Panier devenu chicos est maintenant un lieu touristique. C'est beau, c'est propret, c'est fleuri. Le monde qui l'habite est socialisé.

rue H

Mais où sont passées les petite boutiques un peu foutraques, souriantes et chaleureuses ?

Où donc se réfugient maintenant les marginaux de la cité ?

vrac picasso

 

 

 

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