Avec LE CATAMARAN GALATEE-ATLANTIQUE

 

 

 

 

 
Préambule :galatée
En piste pour le premier coucounet d'une petite trilogie de navigation atlantique. Les personnes qui ont reçu le premier voyage, avec Lune de Miel, vont se retrouver en terrain familier dès les premières lignes. Pour nos nouveaux contacts ce sera un peu plus difficile car il ne fait aucun doute que beaucoup de nos références sont étroitement liées à cette première et magistrale expérience de l'année 2002. Je sollicite toute votre indulgence quant à la forme et au fond des textes qui vont suivre, sachant qu'ils sont toujours écrits dans l'urgence et que peut-être la liberté de m'exprimer implique quelques savoureuses entorses à l'usage correct de l'écriture. S'il est vrai que je m'adresse à vous en vrac, ne perdez jamais de vue que j'ai la conscience aiguë de chaque personne qui va lire ces lignes, et l'un ou l'autre y trouvera de petits clins d'oeil pas forcément explicites mais réels.   JanouB
 

 

Le Marin - Les Saintes

 Vendredi 16 avril 2004

Il est 16 heures en Martinique. Je débarque de l'avion.Je suis encore toute imprégnée de l'ambiance du continent. Les huit heures d'avion fonctionnent comme un espèce de sas dans le temps, qui me rend à la terre. Je suis complètement décalée. C'est aussi le coeur chamboulé que je récupère mon bagage sans hâte. Quelques pas vers la sortie, et le miracle a lieu aussitôt. Laurent est là... tout entier. Le visage fraîchement repeint aux couleurs du soleil. Il y a là quelque chose de terriblement familier et de neuf en même temps. Il y a aussi l'ami Serge.V, qui s'est intensément cuivré au contact du soleil. Leurs sourires m'inondent d'un bonheur frissonnant. 

En route pour la découverte du catamaran dans un mouillage tout à fait familier, le Marin. Le cata s'appelle Galatée, c'est un Catana de 13 mètres de long et 7 mètres de large à peu près. Notre habitation de Velaux montée sur flotteurs en quelque sorte.
Lorsqu'on monte sur un catamaran et qu'on pratique le monocoque, on est épaté par l'espace. Et il va falloir que je m'approprie cet immense île flottante pour quelques semaines. Ce n'est pas du tout la même chose de "visiter" un navire en faisant ou pas une promenade à bord que de le découvrir en se disant que chaque chose va devenir mienne pour un moment de vie. Que d'incertitudes !
Voilà j'ai d'emblée un gros problème; C'est un engin est beaucoup trop gros pour moi. 
La première pensée intense profonde et obsédante est pour mon frère, le Jeannot de mon doux pays des Vosges. Je l'entends qui rigole dans la coursive, "ah te voilà bien... t'as l'air fine maintenant !"

Je ne pense pas encore au comportement en mer. Comme toujours quand je suis inquiète, je m'implique en douceur. Je m'avance sur la pointe des pieds, au sens vraiment propre. J'observe. Laurent très gai et très taquin, m'entraîne sur le trampoline... Il danse la dessus comme un pantin désarticulé. Je me risque avec beaucoup de prudence. Je n'aime pas que le sol soit élastique. (J'ai une pensée brève pour la Noiraude, vous imaginez la Noiraude sur le trampoline)... Je m'étale à plat ventre, il faut que je vois la mer en dessous. Comment ça se passe en navigation; Pas de panique, on est encore au mouillage. Je m'imprègne le plus possible de sensations agréables. Il y en des foultitudes sur ce cata. Il y a d'abord bien entendu cette stabilité remarquable. On ne ressent ni les remous des annexes qui secouent le mouillage, ni la houle qui sévit plus ou moins selon le moment. Il y a surtout le fait qu'on se déplace sur un espace très large, que le pont est très haut au dessus de la mer. Je peux tenir l'eau à distance et ça, c'est réconfortant. Bon, je crois que je m'y ferai à ce luxe.

Trois jours au Marin, nous y laissons Serge.V qui reprend l'avion. Un curieux moment de doutes et d'impatience pour Laurent et moi. Voilà que nous n'avons plus de chef. Aïe, aïe Aïe, nous voici livrés à nous-mêmes. Serge, au secours ... Et puis, je me ressaisis. Le temps pour moi de retrouver le chant aigu et strident des petites grenouilles translucides qui enchantent nos soirées. Le temps d'essuyer quelques grains d'eau tiède. Le temps de rencontrer Laurent, de parler un peu de ces 15 jours hors de nous-mêmes, de nous reconnaître et renaître ensemble. 
Nous avions l'idée de quitter rapidement le Marin et de nous arrêter à Saint Pierre sur la côte sous le vent. Nous avions envie de retrouver quelques enchantements déjà vécus de cette sympathique petite ville. Mais j'ai le souci de la navigation en tête, et finalement je fais une autre proposition. Voilà, je gère à peu près l'espace, il faut que je me frotte à la navigation. Je suis préoccupée, il faut que je fonce... Cette grosse bête multicoques, baptisée Galatée me séduit et m'effraie à la fois. Ces deux sensations sont toujours de vrais bonheurs de vivre, et j'ai envie de précipiter les choses. Pour aller du Marin aux Saintes directement, il y a 106 miles nautiques. Une quinzaine d'heures de navigation que Laurent établit au jugée. La dessus je n'ai pas d'opinion pour le moment. Ces trois jours d'observation, de prise en compte de l'espace commence à me peser, il faut maintenant que je me frotte à la bête en mer. Je sais que la nuit ce sera plus difficile, mais une fois passé ce cap, j'aurai fait le plus dur de mon initiation. Hardi petit, c'est décidé pour le décollage. Je suis ravie que Laurent soit d'accord avec moi.

Mardi 20 avril 04 
On quitte la Martinique à 13 h après le repas. Départ en douceur et sans encombre. Le guindeau est obéissant, Laurent maîtrise bien les deux moteurs. 
Malgré un voilier qui sommeille au dessus de notre chaîne on part en douceur et sans stress. Laurent me laisse la barre pour sortir de la passe encombrée d'un certain nombre de cayes peu avenantes. Elles sont repérées et la lumière nous révèle leurs larges taches jaunâtres. Nous naviguons au portant. Un vent sympathique d'environ 15 noeuds nous pousse sur une mer très sage. Un vrai bonheur, on a de l'ombre dans le cockpit grâce au toit rigide que Serge.V. a fait monter à Trinidad. Nous partons pour  une croisière de luxe. On dépasse le diamant qui n'a de brillant que son nom. Laurent a tracé une route à environ 5 milles des côtes car nous souhaitons échapper aux effets pervers des montagnes. Entre les sommets le vent peut débouler avec violence en s'engouffrant dans ces espèces de couloir. L'instant suivant on est sous la montagne, complètement à l'abri et le navire n'avance plus. Nous savons que cette alternance de violence et de pétole, c'est pénible voire dangereux, car imprévisible. 
La journée que nous avons choisie est une magnifique journée, avec de beaux cumulus qui étalent sans vergogne leur cellullite dans un ciel parfaitement bleu. Modèle à suivre ! 
Nous avons Laurent et moi, installé ensemble un ris pour réduire la grand voile en prévision du canal de la Dominique que nous passerons de nuit. Le canal de la Dominique entre l'île et la Côte nord de la Martinique est un passage très musclé. La météo annonce 15 noeuds pour la journée, 20/25 noeuds dans les canaux, petite houle de 1,50m sous le vent des îles. Vent un peu plus sérieux en atlantique, jusqu'à 30 noeuds et houle jusqu'à 3 mètres. Nous on s'en fout, on reste à l'abri des îles. 
A 15 heures nous traversons la baie de Fort de France, le vent est super, en dessous de 20 noeuds. On fonce à 9/10 noeuds. Belle allure. J'ai l'impression d'avancer avec une étonnante facilité. Ma parole, il ne demande qu'à avancer ce navire !

L'éolienne "grillonne" allègrement. Entendez par là, qu'elle se prend pour un grillon en quête de femelle. Elle est très sympa cette éolienne, si elle chante c'est qu'elle fournit de l'énergie et son sifflement n'est pas agressif. C'est un modèle peu courant. Je l'aime bien, elle a le mérite d'être discrète et de fournir au moins le jus pou le frigo... Navigation sans histoire avec des petites accélérations à plus de 10 noeuds. Franchement j'aime bien, et j'envisage avec sérénité la nuit. En attendant je me remplis les yeux de mes images favorites. Les poissons volants nous prennent pour un monstrueux prédateur et giclent de tous les côtés. Leur vol plané est spectaculaire. Mais la panique provoque des folies irréparables. Des fois, ils se loupent dans leur élan et retombent sur le pont; J'ai retrouvé aussi mes oiseaux favoris, les puffins aux plumes moirées. Ils volent comme je voudrais nager si jétais moins sotte. C'est pour ça que je les aime et qu'ils me rassurent. S'ils le font dans le ciel, peut-être qu'un jour je le ferai dans l'eau. Quelques battements tranquilles avec les bras, un long moment de plané relaxe, quelques battements, une nouvelle pause. De jolies boucles dessinées dans le ciel en toute harmonie. Quel bonheur !
Je reconnais émue le joli clocher de Saint Pierre et ses maisonnettes empilées au pied de la Montagne Pelée. Quand à la montagne elle se cramponne toujours aux nuages gris et lourds et les empêche de tomber. Qu'elle les garde. C'est très bien ainsi. Après Grand rivière on est à la pointe nord de la Martinique, le relief s'aplatit et le vent s'engouffre dans notre voilure. Sa vitesse dépasse les 25 noeuds et la mer se forme. C'est l'effet du canal de la Dominique. On y entre un peu trop vite pour mon goût, mais je m'abstiens de couiner. Tout de même pas dès le premier jour. Je reste donc stoïque, j'observe la mer, je surveille les flotteurs, les cabrures du navire, et j'ouvre grand mes oreilles. Il est 19 heures, le soleil est couché mais des lueurs bleutés éclairent toujours le ciel. La mer devient très sombre.

Brutalement l'effet atlantique nous tombe dessus. On a beau le savoir et s'y attendre, nous subissons quelques minutes de doute Laurent et moi. Le spido monte à 12 noeuds, le vent apparent grimpe à 28 noeuds. On est au travers. Les vagues frappent sans relâche le flotteur tribord. Et la houle atlantique déborde ici avec fureur; Autant s'y coller maintenant pour une deuxième prise de ris. Lumière de pont pour éclairer la manoeuvre et qui nous plonge dans le noir absolu; Je déteste ça. Laurent s'équipe, ciré car ça mouille sérieux sur le pont, harnais, ligne de vie, pour aller au pied du mat, libérer le premier ris et installer le deuxième croc. Quant à moi je me cramponne aux différentes drisses et écoutes et j'obéis aux ordres. Opération réalisée en un clin d'oeil. Une fois que nous avons roulé environ 2/3 du foc, la navigation devient nettement plus confortable. 
Canal de la Dominique, Galatée et son équipage partent à l'assaut de tes caprices ! 
Les vagues de la grande mer, s'engouffrent dans le canal et de jolis creux d'environ 3 mètres s'écrasent sous notre tribord. C'est pas le moment que je choisirais pour aller gambader sur le filet entre les deux flotteurs, mais à l'arrière, abrité des vagues on se laisse chahuter sans trop souffrir. Par contre les vagues qui foncent par le travers font un boucan de tous les diables. Elles provoquent aussi un espèce de tourbillon qui bouillonne violemment à l'arrière de chaque flotteur. Je n'aime pas trop ce raffut de chute d'eau qui dégringole. C'est franchement pénible. J'ai renoncé à descendre dans les toilettes, je crois que l'escalier m'aurait jetée par terre. 
Nous, jusqu'à maintenant on naviguait en 2CV. Ca gite dans les virages, ça cahote gentiment sur les bosses de houle, mais ces mouvements là nous sont familiers et presque tendres la plupart du temps. Et nous voilà dans un 4x4 qui saute et rebondit, mais pourquoi suis-je venue me perdre dans ce bouillon.
Regardons vers l'avant, et oublions....Donc je me cale et je scrute la nuit. Les étoiles peu à peu s'allument et le ciel diffuse une lueur appréciable. Si je vois les étoiles, il n'y a pas de grain en vue. Parce que ça, au milieu du canal, j'aimerais vraiment pas. La mer se confond avec le gris de l'horizon. 
Un peu dur tout ça, mais il n'y a pas de danger. Lorsque nous approchons de la Dominique, notre vitessse d'un coup tombe à 6 noeuds. Rapidement, nous sommes à l'abri de la terre, Galatée se calme, nous aussi. La houle reste un peu dure. On renvoie ensemble notre voilure avec facilité. 
On croise peu de bateaux. Longer la Dominique ne pose aucun problème. C'est une belle nuit sans lune mais riche en étoiles. La voie lactée nous éclaire superbement. Le long de l'île nous croisons une dizaine de navires qui pêchent au "lamparo". Mais ils suivent tous le même rail, ils sont parfaitement alignés à plus de trois miles de nous. Nous les gardons à l'oeil, mais ça ne pose aucun problème; Nous dormons une heure chacun. A une heure du matin, plus un pet de vent. On se met au moteur, et Laurent en profite pour faire un peu d'eau avec le dessalinisateur. Ce dessal est une installation très fastidieuse à mettre en fonctionnement et je crains de ne pas m'y faire. Alors que c'est si facile sur Lune de Miel. Pour la traversée j'achèterai quelques bouteilles d'eau au cas où...
Le jour se lève lorsque nous passons en douceur et à la voile le canal de Guadeloupe à environ 7 noeuds de vitesse. Je vous offre ce premier lever du jour en vue des îles de Guadeloupe. Il est 5 heures du matin. 
La voie lactée s'éteint la première, puis les étoiles progressivement. Le ciel devient gris clair, une lueur rosée qui vient de l'Est enrichit les nuages. 
La mer devient couleur de bronze à l'avant du bateau. Au travers et à l'arrière elle est comme couverte de cendres brillants. L'écume éclate de jolies nappes de mousse rose sur ce gris anthracite. C'est une vraie merveille. Jusqu'à ce que le soleil tout d'orange vêtu éclate d'un coup à l'horizon. Je me sens délicieusement bien, dans peu de temps nous serons en terrain familier, les Saintes. 

Mercredi 21 avril. 6 heures du matin. 
Nous abordons les Saintes par la Passe des Dames. Laurent à la barre et moi scotchée devant l'écran PC à lire la carte et le guider à travers les cailloux. C'est un endroit remarquable, la passe n'est pas large mais facile. 
Il y a peu de monde aux Saintes. Et c'est toujours aussi magnifique. Je vous raconterai plus tard. Maintenant j'ai sommeil et Laurent aussi. A la prochaine !
Demain départ pour Déshaies. C'est de là que partira ce message. 

Janou 

Proverbe du jour : " Lorsque l'éolienne grillonne, c'est l'équipage qui frissonne "

 

 

St Barth - St Martin

Il faut vraiment faire une pause aux Saintes. La vie de village y est tranquille, géniale même à bien des égards ; ça me rappelle Porquerolles. Mais les navettes y sont plus rares et les touristes aussi. Ce qui est génial ici, c'est la population. Il n'y a pas eu de trafic d'esclaves comme dans le reste des Caraïbes car l'île trop sèche n'est pas favorable à la culture. Ce sont donc essentiellement des Bretons pêcheurs qui ont colonisé l'île. Il n'y pas de métissage ici. C'est très déconcertant d'aborder une grande femme rousse à peine halée qui vous répond avec les incroyables formules créoles. Ah, le piège des apparences ! Vous vous rendez-compte, ces personnes ont la même allure que nous, de gens civilisés, et ils parlent comme des nègres. Leur langage créole à quelque chose d'indécent qui n'est pas à sa place. Je me moque un peu de je ne sais pas qui en écrivant ces lignes, mais j'adore cette manière d'être déconcertée. Sentiment instantané qui fond aussi vite que du café soluble une fois prise l'habitude de croiser tous ces visages souriants et sympas.
La baie qui encercle le bourg est un mouillage extraordinaire. Les maisonnettes aux toits rouges et blancs bordent la plage à l'abri des palmiers. Au nord, la Guadeloupe étale ses immenses forêts de manguiers, tamariniers et flamboyants en fruits. La pointe grise des sommets se noie sous les nuages. Où que se portent les yeux, je me laisse bercer par une vision de rêve. Je fais partie d'une magnifique carte postale.
Dans la soirée, Laurent m'offrira à terre, le cocktail de fruits crémeux, saveur dominante de fruits de la passion et mangues, à peine acidulé par un peu d'orange et délicieusement rehaussé d'un peu de gingembre. Je me souvenais de ce délicieux breuvage, et ce n'était pas un idéal, il existe pour de vrai et c'est au bourg des Saintes.

Jeudi 22 avril 2004 
Nous quittons les Saintes avec un petit pincement au cœur, mais nous avons une belle promenade d'environ 40 miles à faire le long de la Guadeloupe. Perspective très réjouissante; 
Il est 10 h30, Nous traversons la baie de Pointe à Pitre à 6 nœuds sous un ciel cotonneux. Promesse d'une belle journée sans grains. On s'y loverait... 
Encore que le ciel de Caraïbe soit souvent volage. La galette sombre de Marie Galante disparaît dans l'horizon. On part plein vent arrière avec juste la grand voile et la bôme prise par le palan de retenue de baume. Je suis enthousiasmée par ce palan et je vais tanner Laurent dès notre retour pour qu'il nous équipe ainsi. Le cordage improvisé que nous utilisons sur Lune de Miel nous a souvent joué des tours. Leçon de sagesse à retenir,
Merci Serge !
Côte sous le vent de Guadeloupe, nous reconnaissons le joli village de Rivière Sens, prémices de Basse Terre noyée dans la verdure. Les effets de couloir des montagnes qui dominent provoquent des rafales qui déboulent à 27/30 nœuds de vent. (La Soufrière culmine à plus de 1400 mètres et les montagnes le long des côtes varient de 600 à plus de 700 mètres pour les 3 Mamelles au nord de l'île). On a réduit la voilure, un jeu d'enfant car on l'a prévu assez tôt. 
Nous sommes en terrain familier et on connaît les facéties du vent tout le long de la Guadeloupe, même à 3 miles de la côte. On avance à 9/10 nœuds, au grand largue. C'est vraiment la meilleure allure, quel que soit le navire. La houle ici n'est pas trop gênante, bien qu'annoncée 3 mètres en mer. Faut quand même que la terre nous abrite au moins de ça ! 
A 12h45 nouvel effet de terre, panne totale de vent. On roule le foc et en avant le moteur pour une petite heure de dessalinisateur. Décidément, ça fait trop de raffut cette installation, faudra pourtant que je m'y fasse. C'est appréciable, l'eau douce courante... Et puis il est performant cet appareil, il paraît qu'il produit 150 l/à l'heure. Le nôtre est vraiment discret, mais il ne produit que 60 l/L. A chacun ses priorités n'est il pas ?
Le vent revient à 14h45, avec bien entendu de nouvelles rafales à 28/30 nœuds. Les sommets sont noyés dans la noirceur d'un grain qui ne se décide pas à décoller. Nous naviguons au portant, l'éolienne grillonne follement et le navire s'envole. On reconnaît les mouillages sympathiques déjà repérés avec Lune de Miel, quand on était en vacances et qu'on avait le temps de folâtrer aux Trois Tortues, à l'anse de la Barque... 
15 h 30, Encore un effet dévastateur des sommets, d'un coup le vent tourne et passe à 33 nœuds.  Pas la peine de perdre du temps pour une navigation au près qui devient vite inconfortable. On repart au moteur d'autant plus volontiers que nous pouvons envisager de ferler nos voiles.  Nous sommes à 3 miles du mouillage, les premières maisons s'alignent sur les coteaux. Mais la houle nous secoue pas mal. Nous sommes vraiment soulagés d'entrer dans le mouillage. Y'a plein de places, on peut aligner 60 mètres de chaîne et ce n'est pas du luxe ici. Le mouillage est un goulet entre les collines, gare à l'effet venturi, d'autant que la journée de demain est annoncée pluvieuse et ventée, ....
C'est joli Déhaies. On s'y sent très très bien. C'est aussi un petit village, deux rues principales et parallèles dont une le long de la baie ou s'alignent les commerces. 
Quand le soleil se couche, Laurent et moi, nous nous étalons sur le trampoline. Il fait doux, le vent nous caresse les fesses sous les mailles du filet. Nous rêvons l'un contre l'autre et les étoiles s'allument dans notre ciel.

Samedi 24 avril 2004
Le téléphone sonne juste après notre petit déjeuner. Une gentille nymphette annonce sa visite en fin de matinée. La jolie Marion viendra partager notre repas. Un agréable moment de rencontre entre passé et avenir. Merci, mille mercis, amis Danièle et Lucien de nous avoir adressé ainsi votre joyeuse présence.
14 heures, nous rendons Marion à la terre et à ses fantastiques projets de voyage avec Luc et nous décollons pour une virée de 120 miles vers Saint Barthélemy, notre remontée vers le Nord.
Les branchés de la "nav", ils disent St Barth comme d'autres auraient dit, St Trop... En ces quelques mots je vous donne un aperçu de L'île. Mais d'abord y'a de la route à faire. Et quelle route !
Le vent nous cueille à bras raccourcis dès la sortie du mouillage. Toujours de travers, on démarre à 7/8 nœuds pour rapidement passer à la vitesse qui secoue, plus de 10 nœuds. L'anémomètre affiche rapidement 33 nœuds, on s'amuse à prendre un deuxième ris. Histoire de s'étirer un peu les muscles défraîchis; La grand voile tombe toujours facilement et ça ne pose aucun problème. On roule presque la moitié du foc. Nous passons à 8/9 nœuds mais nous avons l'impression que les vagues nous frappent plus brutalement. 
Jamais je n'aurais imaginé un tel boucan avec si peu de houle, elle est annoncée moins de deux mètres. C'est franchement inconfortable mais le ciel est magnifique, que des bons nuages blancs dans un ciel parfaitement bleu. Je me cale donc le mieux possible à l'arrière du cata. Et je me laisse secouer et balancer et ballotter comme sur des montagnes russes. Après tout y'en a qui paie pour ce genre de sensations à terre.. Réjouissons-nous camarades, ça secoue et même quelquefois ça mouille... 
Nous sommes rapidement en vue de Montserrat. Le soleil couchant derrière l'île traverse les lourdes fumées noires du volcan qui bouillonne au sud. Lorsque nous arrivons sous le volcan, il se fond dans la nuit. Les sorcières sont en vacances et le chaudron magique ne rougit pas sous les flammes. On voit nettement les larges coulures refroidies des coulées de lave qui balafrent le versant est. Le paysage est dévasté, désolé, triste et noir, tout paraît à l'abandon. A l'Est, même la longue silhouette d'Antigua se dissout tristement dans l'horizon. La lune montante diffuse une lueur blafarde qui blanchit la mer à bâbord. A tribord, l'écume festonne sous les étoiles de bien jolies phosphorescences.
On se félicite Laurent et moi d'avoir pris nos deux ris pour la nuit. Car le vent ne faiblit pas et même il nous arrive de grimper à plus de 9 nœuds. On s'installe à tour de rôle dans le carré pour un moment de détente, dormir pas la peine d'y compter. Le bruit est infernal. Les vagues qui viennent du travers se cognent dans les flotteurs, elles giclent sous la coque, d'énormes coups de masse qui font vibrer tout le navire. La vaisselle dans les coffres est prise de folie, gling gling grincent les tasses, glong, glong, résonnent les casseroles... Et l'éolienne grillonne à grands tours de pales.
Quelle nuit de folie !
Dehors, mais dehors c'est nettement plus chouette. D'accord, ça secoue et on tibube... mais le navire file sa route tout droit entre les îles sans s'accorder le moindre écart. 
A 3 heures du matin, les lueurs de St Barth s'allument à l'horizon. La Grande Ourse culbute au-dessus de l'île. Quel merveilleux chargement verse-t-elle ainsi juste sur St Barth avant de sombrer à l'Ouest ?
5 heures du matin, le jour se lève, les étoiles se sont éteintes, et la lumière devient bleutée. Nous dépassons le mouillage urbain de Gustavio, nous contournons de sympathiques rochers aux allures étranges. Les îles qui embrassent St Barth nous accueillent à bras ouverts dans leur creux douillet. Depuis notre dernier passage, la zone est classée réserve marine, et des bouées gratuites ont été installées pour les plaisanciers. Ca c'est de la vraie protection de l'environnement.
Bon, moi, je me pieute, à bientôt !

Dimanche 24 avril 2004.
Nous n'avons dormi que deux heures ce matin. L'impatience de profiter de St Barth a eu raison de notre fatigue et nous a jeté en bas de notre couchette un peu trop vite. On est tous les deux vasouillard. Mais la magie du lieu nous remet d'aplomb dès qu'on s'installe pour un petit-déjeuner de luxe dans le cadre magique du Colombier.
Quel endroit magnifique ! Les eaux sont d'une pureté incroyable et des reflets tantôt outremer intenses, tantôt brillance de l'émeraude sont émis par les fonds. Les tortues viennent zoner autour de nos flotteurs. Je suis hypnotisée par leurs facilités de déplacements. Des mouvements très mesurés de mémères en promenade et une allure très vive, pleine de charme, ah que j'aimerais savoir nager comme ça. Leur petite tête pointue qui se dresse comme un périscope, avant qu'elle replonge pour nager entre deux eaux. C'est vraiment rigolo.
En fin de soirée Laurent qui flâne sur les fréquences radio-amateur BLU, entend notre ami André, VA3AF, au Québec. Nous en profitons pour lui annoncer notre présence prochaine sur le Réseau du Capitaine. Pour rappel le Réseau du Capitaine est une assistance formidable pour les navigateurs radio-amateurs qui assurent ses vacations depuis le Québec. Nous nous retrouvons tous les jours, en fonction de notre position, de la route parcourue et du cap prévu, ils nous tracent notre carte météo remise à jour en permanence. C'est pour Laurent et moi une aide de navigation inestimable. Mais c'est bien plus que cela. C'est un contact chaleureux, souriant, parfaitement fiable. C'est un fil palpable entre nous et la terre, c'est une équipe de potes. C'est la magie du fonctionnement radio-amateur dans toute sa force et sa générosité. Il n'y a que des radio-amateurs pour assurer comme ça ! Ce sont les mousquetaires du fil qui chante. Vous avez du comprendre combien je les aime. Quel bonheur de les retrouver !

Lundi 25 avril 2004.
Nous quittons L'île paradisiaque de Saint Barthélemy à 10 heures du matin. Nous avons un peu plus de 20 miles à faire au portant pour atteindre la baie de Marigot à St Martin. La mer est un peu agitée mais notre allure en vent arrière est franchement géniale. Les vagues arrivent avec juste ce qu'il faut de vigueur pour nous pousser aux fesses. Le foc seul nous permet d'avancer à plus de 5 nœuds. Cette allure me comble. C'est l'amble du chameau. On balance gentiment d'un bord sur l'autre, les vagues se défrisent le long de notre coque. Elles y perdent leur couleur et leur vivacité. C'est trop bon !
Laurent envoie une petite heure de moteur pour refaire un peu d'eau douce. Quel soulagement quand on revient à la navigation à voile !
Depuis que je pratique le catamaran de Sylvie et Serge, c'est la première navigation vraiment idyllique que nous partageons Laurent et moi. Ce qui me permet enfin de croire en des moments extraordinaires pour les prochains jours.
Nous faisons le plein de gasoil à notre arrivée à Marigot. Demain nous nous préparons psychologiquement, intellectuellement, et techniquement pour la traversée. Je vous enverrai un mot rapide pour vous dire quel jour est prévu le départ.  
 

Saint Martin. 
Nous nous sentons merveilleusement bien dans la baie de Marigot. Nous retrouvons avec enthousiasme tous les charmes de Saint Martin avec bien sûr une multitude de rappels concernant notre précédent passage avec notre ami Serge F de Stenella; Vous nous manquez Stenella et toi, ami Serge, je t'embrasse fort en passant.

Le vent fonce à 25/30 nœuds de manière très soutenue dans le mouillage. Ce n'est pas pratique pour aller à terre. Mais ça amuse follement Laurent. Et moi bien entendu je ronchonne parce que, avec l'annexe si on ne veut pas se faire inonder par les vagues de face, il faut mettre des gaz. Comme vous savez, le cheval au galop, ce n'est pas mon truc !
Nous avons fait le tour des cata pour voir si on trouvait un pote de traversée. Mais la plupart retournent vers les Bahamas. Nous ferons donc route avec le Réseau du Capitaine, pour nous soutenir... 
Hier a été une sympathique journée de loisirs tranquilles, en ville avec un peu de magasinage, reconstitution de l'avitaillement en produits frais, après-midi musique dans la fraîcheur de la cabine, et soirée resto dans la Marina Royale de St Martin.
Ici s'achèvent les vacances, on entre dans le vif du sujet. Notre boulot maintenant, c'est de rapatrier Galatée aux Açores...  avec pour le moment un vent annoncé de l'Est, 15/20 nœuds. Nous ferons donc route vers le Nord pendant quelques jours... 
Nous décollons aujourd'hui dans la matinée, après avoir envoyé ce message et organisé le navire pour la traversée. Pour le moment je baigne dans une douce impatience, un peu d'appréhension aussi. 
Dans 15/20 jours, à notre arrivée, je vous adresserai une nouvelle tranche de vie comme nous les aimons Laurent et moi..
Nous étions une fois, deux rêveurs...

 

A bientôt. Janou B

 

Traversée atl

 Mercredi 28 avril 2004 "18°O5'N - 63°06W"
jusqu'à Horta, Ile de Faïal, 2300 nautiques. 


Nous aimons tant St Martin que l'idée de quitter une nouvelle fois cette île accueillante nous rend un peu tristes. Mais il y a en vue une longue traversée avec tout ce que cela implique de surprises, bonnes ou mauvaises, d'espaces libres et d'abandon à soi-même. L'instant d'avant le départ, est un moment unique où se culbutent toutes sortes de sentiments contradictoires. Ils nous inscrivent dans une dynamique de départ très troublée. Un peu d'effervescence mais pas trop, beaucoup d'anxiété et quelque impatience.
Un de mes amis dit : "ce que je préfère dans la navigation ce sont les escales". Moi j'aime bien les escales, mais ce n'est pas le meilleur de la navigation. Le moment de vie le plus intense, le plus riche, le plus prometteur, celui que je préfère, c'est le moment du départ. Et nous y voici, en plein dedans. 
On liquide quelques détails matériels.
- Ce barbecue fixé sur le balcon arrière, tu crois qu'il est utile là où il est ?
- La planche à voile, surf et tout le bazar qui va avec, est-ce prudent de les laisser le long des filières ?
- T'as remarqué que la vaisselle en opulence empilée comme elle peut, nous tombe dessus dès qu'on ouvre une porte. Est-ce que je peux virer les verres à champagne, les muggs, coupes à dessert, thermos en tous genres et autres futiles objets de salon ? 
- Les gilets de sauvetage ousse qui sont ?
- Voyons l'inventaire du bidon étanche de survie : Gps portable, quelques biscuits, deux bouteilles d'eau, les fusées portables, des petites jumelles, le couteau suisse, de la ficelle, la VHF et des piles de rechange. Donc, nous sommes bien prêts : les gilets de sauvetage sont sous la table du carré, y'a qu'à tendre la main pour les prendre. Les pilules anti-mal de mer sur la table...y'a qu'à... On a sérieusement revu l'arrimage des planches à voile, j'ai soigneusement empilé dans une caisse toute la vaisselle inutile. 
Au moins on se fera pas amocher par un coup de verre à pied intempestif.
Et puis le plus important de tout nous avons pris rendez-vous radio avec nos amis du QSO du Capitaine, et ça aussi c'est un rude morceau de chance de les avoir avec nous, disponibles, chaleureux, efficaces, et de si joyeuse compagnie. C'est ici que je vous salue du fond du coeur chers Amis, André, Pierre, Jean-Yves et Michel, car vous faites bien partie intégrante de cette traversée.

11 H tapantes, doux ronronnement de moteur, Laurent à la barre, je lève l'ancre. Tout est en ordre, je jette un regard déjà nostalgique sur la magnifique baie de Marigot qui m'échappe définitivement. Adieu les Caraïbes... 
Nous envoyons la voilure avec deux ris dans la grand voile.Et bien entendu Ami Serge de Stenella tu es fort avec nous à cet instant précis. 
Pourtant, très vite, la navigation nous bouscule et chasse nos états d'âme. 
Nous partons par vent d'est, 25/27 noeuds réels, donc ça pousse fort. La houle annoncée, 2,50 M nous chahute mais nous savons que le départ est souvent assez chaud. Nous devrons négocier la longue passe le long d'Anguilla avec le vent presque de face. Normal n'est-ce pas ? Cependant Galatée remonte magistralement au vent. Si ça trouve on passera en tirant deux longs bords bien ajustés. A 14 heures on frôle la pointe d'Anguilla mais en s'aidant des moteurs ça passe impec. On s'en tire plutôt bien.
La mer ne nous accueille pas gentiment du tout; la houle frappe sauvagement, surtout une fois qu'on est au large. De trop grosses vagues passent par dessus bord. Elles fouettent l'avant, jaillissent le long des filières en gerbes immenses et s'écrasent jusqu'à l'arrière. Une vague plus virulente que les autres passe par dessus le rouf, une cascade ruisselle le long de la paroi du cockpit. La porte du carré et le grand hublot au dessus de la cuisine se transforment en cascade de pluie. Impressionnant tout ça. Rafraîchissant mais pourvu que ça ne dure pas trop longtemps. Galatée avance d'une démarche très chaotique. Un pied sur la crête d'une vague, l'autre dans le creux, la suivante qui nous bascule sur l'autre bord. C'est très casse figure tout ça. 
Et on se la casse la figure...C'est une très dure journée qui voit les îles se dissoudre dans une ombre de plus en plus grise puis se confondre entre ciel et horizon.
La nuit tombe à 18h30, je suis toujours un peu inquiète de savoir les nuits aussi longues en début de traversée. Nous avalons une soupe, et blottis l'un contre l'autre nous surveillons les étoiles, puits de lumière qui jaillissent de la nuit. A minuit le radar prend la relève. On s'allonge chacun sur une banquette du carré. Pas tranquilles du tout les deux navigateurs, pourvu qu'on entende l'alarme. 
On ne se rend pas trop compte dehors, mais dedans, le bruit est infernal. C'est vrai qu'on navigue au près serré. C'est vrai que la mer est très agitée et que les vagues s'engouffrent et s'écrasent avec violence entre les deux flotteurs. Quand j'étais petite je dormais avec ma soeur et ma mère dans une chambre dont le mur était mitoyen avec l'écurie du voisin. Toute la nuit on entendait les chevaux qui battaient du sabot. C'était des chocs sourds, profonds et réguliers. J'aimais bien, ça faisait partie de mon environnement; 
Au début le choc des vagues contre la coque me rappelle cette ambiance; C'est presque sympa. Mais je suis à peine endormie que je me réveille en tremblant de frayeur. Il n'y a plus l'un ou l'autre cheval qui se défoule une patte, mais toute une cavalerie qui se culbute sous la coque. Quelle violence, mais ils vont passer à travers le mur ces crétins ! Les effets secondaires à l'intérieur sont dignes de l'exorciste. La table se soulève et reste suspendue quelques instants dans une vibration effrayante. Je reçois des formidables coups sous les reins qui me lèvent de ma couchette. Ma couette serait-elle en lévitation ? Certains chocs, vibrent avec tant de violence que le navire donne l'impression de se cabrer, de déraper. On reste suspendu à un fracas épouvantable. Si un instant d'accalmie nous permet un répit, un semblant d'endormissement, je suis réveillée par une larme qui tombe du plafond directement sur mon nez, sur mon oeil, sur ma bouche, dans la cou. Impossible d'échapper à cette goutte qui tombe avec la régularité d'un métronome. Cette nuit chaotique nous jette dehors épuisés bien avant que le jour se lève. Nous restons blottis à l'arrière calée dans les pare-battages en guise d'oreiller. Et nous grelottons. 
L'horizon se teinte rapidement de rose, la nuit devient bleutée. A Quatre heure et demi, le jour se lève. Ouf on va revivre. Le cauchemar est fini. Tu parles !
A 6 heures, le soleil me réchauffe gentiment. La mer est toujours aussi peu sympa; Une houle profonde d'environ 3 mètres nous ballottent d'un bord à l'autre, les petits plis de surface, houle du vent, se lèvent, se fondent dans la grande vague avant de s'écraser sous Galatée. l'écume déroule ses frisettes et fait la belle, mais elle ne me charme pas, pas du tout. Et pourtant. Les vagues se cassent sur l'étrave et retombent en pluie. Des perles diamantées pleuvent à bâbord. Le soleil doucement se lève à l'est. Entre deux eaux, juste sous mes yeux apparaît dans la nuit de la mer, un magnifique arc en ciel sous marin. Il prend pied je ne sais où dans le flou des profondeurs et son arche magistrale s'arrondit juste sous les vagues. 
C'est juste une apparition. C'est magnifique parce que c'est fugitif. Alors je passe un temps fou, à traquer ces mirages de couleurs. Si les conditions n'avaient pas été aussi difficiles, il n'y aurait pas eu les retombées de l'étrave et je n'aurais jamais eu cette chance inouïe de naviguer entre des arcs en ciel qui flottent sous l'écume. 
Un vague chatouillis dans l'estomac, une paresse insurmontable m'envahit. Il est temps de traiter le mal de mer. Laurent attend que je me ressaisisse pour faire le tour du navire et s'assurer que la nuit n'a pas trop maltraité notre embarcation.
Aïe aïe aïe. Les fonds, absolument tous les fonds sont inondés. On s'aperçoit alors que l'eau passe dans toutes les cabines à travers les joints des hublots, les plafonds gouttent, y'a aucun doute. Oui mais où encore pour qu'il y en ait autant de l'eau ? 
C'est le début d'une routine de pompage à surveiller, toutes les quatre heures et une fois au milieu de la nuit. Avec des sandows et des cordages Laurent serre comme un malade les hublots dans leur logement.
Efficace ? Pas sûr mais quoi faire d'autre pour limiter les dégâts ? 
On attaque le deuxième jour. A 11h du matin, nous avons parcouru 145 MN. On ne doute pas de faire mieux, c'est encore notre galop d'essai. Dans la matinée, la mer se calme un peu. La navigation devient nettement plus praticable. On reprend confiance. Notre moyenne est de 8 noeuds. Sympa non ?
On se rend compte vers 10 heures que quelque chose ne va pas dans la grand'voile; on dirait par exemple qu'elle est molle le long du mat, qu'elle bagotte, qu'elle est bizarre. Observations, il y a deux coulisseaux qui voyagent tout seul en ascenseur. Une réparation d'urgence s'impose. Nous décidons d'affaler la grand voile et d'avancer en s'appuyant juste sur le génois. Deux sangles qui tiennent la voile aux coulisseaux sont en ruine et l'un des oeillets est arraché. On répare donc, en avançant tranquille sur la pointe du foc. Dans la foulée, Laurent resserre tous les goujons des lattes qui en ont ma foi grand besoin.Et ça repart. Avec une mer très variable qui nous malmène comme elle veut. On serre les dents et les fesses. Ca finira bien par s'arranger.
J'ai souvenir d'une traversée il y a deux ans, dans la pétole, sur une mer d'huile. On bronzait en lisant au soleil ou en comptant les méduses à voile.... Dans quel monde était-ce donc ?

Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DES VOSGES
 - Coucou, la Denise, t'es là ! Hé oui, me revoilà, tu vois je pense toujours à toi. (Bon, je me présente pour ceux qui me connaissent pas. Je suis "Ouin-Ouin", c'est moi, le Bon Canard ! Je m'appelle Ouin-Ouin parce que j'étais trop pressé de naître. Quand j'ai cassé ma coquille, mon bec était pas tout à fait sec. J'ai amoché le C de mon bec et depuis je souffre d'un défaut de prononciation. Y'en a qui disent que ça me distingue; J'aime bien l'idée d'être distingué.)
Donc pour revenir à vous autres ma parentèle, figurez-vous que j'ai eu un sacré morceau de chance en trouvant cet équipage qui voulait bien m'embarquer. Ils sont du pays. C'est fou les hasards de la chance non ?
Ils me laissent quelques lignes ici en disant que c'est ma place, parce que je suis un porte-plumes...Je pense que je n'aurai pas de problèmes avec cet équipage. Ils ne répondent pas à mes questions, mais j'ai l'habitude. Je ne trouve jamais quelqu'un capable de "oin-ouiner" avec moi. C'est pas compliqué d'inventer des réponses et j'en suis toujours content.C'est super les Antilles. J'ai fait de belles rencontres, les plus belles au hasard des mares et des fontaines. J'y retrouvais des cohortes de grenouilles créoles qui ont piaillé comme des poules effarouchées au début qu'elles m'ont vu patauger dans leur eau. Elles sont si petites que j'ai été très surpris par le raffut qu'elles ont fait; Elles sont terriblement farouches. Mais à force de se tremper le derrière dans la même eau, nous sommes devenus intimes. Elles ont repris leur joyeuse modulation de contralto et moi je tortillais mon petit derrière en cadence. "Que d'amours splendides j'ai rêvées..." J'ai fini toutefois par être repéré par les humains. Au regard concupiscent qu'ils jetaient sur moi j'ai bien compris qu'ils me voyaient comme un goûteux poulet. Je ne veux pas finir en canard boucané. Il est temps que je reprenne le chemin de la basse cour. C'est pour ça la Denise, tu vas bientôt me revoir. Mais pour le moment faut que je m'installe à bord. Y'a un bazar pas possible dans mon plumier. A plus...


1er mai 2004 "26°16 N - 62°40 W".
Reste 1890 M/nautiques ... 
Le vent nous mène plein nord. Laurent pense que nous devrons peut-être aller vers les Bermudes, si les conditions ne changent pas. Si on fait ça, je n'aurais jamais le temps de venir jusqu'aux Açores avant le 23 mai... Quelle cruelle déception pour moi. On passe la matinée à réfléchir à cette option. La mer par moment est noire et les vagues nous inondent sans ménagement. Nous ne quittons pas les cirés. Je suis souvent gelée. Les gélules du docteur Van Gaelen sont remarquables. Je me sens bien, à condition de rester dehors. Je suis interdite de séjour dans le carré, je n'y survis qu'en position horizontale. C'est donc Laurent qui se coltine, les repas, les vaisselles, les liaisons radio... Aussi bien, si j'étais seule, je ne me nourrirais que de thé et de yaourth. Mais il est là, attentif, et s'occupe magistralement de mon bien être. Moi je le seconde sans problème à condition que ce soit dehors. Il est sympa à mener ce catamaran. Tout est accessible, prises de ris, affaler, hisser, border, choquer. On fait souvent les manip car le vent n'est pas trop régulier. Mais c'est sympa, on s'ajuste sans arrêt au vent; On avance vraiment bien. Le rêve secret de Laurent c'est de dépasser un autre navire. (par exemple on dirait que c'est une régate et qu'on sera arrivé pour les crêpes...) Mais dans ce monde on ne voit personne, on n'entend personne. 
L'univers est à nous tout seuls.
Le vent passe à l'Est. Youpi, on va enfin prendre le cap des Açores. On réajuste notre voilure. 
A 16 heures un phénomène nous échappe. On sent que quelque chose change dans notre allure. Le foc commence à battre. Le pilote annonce "of course". Une saute de vent nous ferait-elle malice ? Le pilote va bien redresser la barre. 
C'est son boulot. On attend. Le spido annonce 0 noeud. C'est l'opulence. Notre pilote automatique se serait-il endormi sur la barre ? Non, les voiles se regonflent, on va bientôt repartir. Voilà, le navire se met en branle. vous le sentez qui bouge ? les voiles sont gonflées... Oui mais on fait toujours 0 noeud... Coup d'oeil machinal vers le sillage... Au secours, on recule....
Galatée, le cata-strophe est de retour. C'est la ligne de pêche qui bien entendu se prend dans une dérive ou dans un flotteur ou pire dans l'hélice... La réflexion est vite menée. Agissons avant la nuit. On se met à la cape. 
Autrement dit, on vire de bord avec le moteur tribord en prenant soin de laisser le génois à contre. L'équilibre entre la poussée de vent sur la grand voile et sur le génois à contre arrête le navire. On remonte la dérive, on récupère du mou dans la ligne, on la dégage du flotteur, mais pas de chance, il semble probable que des tortillons sont pris dans l'hélice. Faut que tu te mouilles ami Laurent ! Il décide par commodité de plonger tout nu. Pendant 
qu'il se déshabille, j'assure un cordage autour du flotteur pour lui donner une main courante sous l'eau. 
- Tu devrais mettre un gilet de sauvetage.
- Oui, et je fais comment pour aller sous l'eau avec le gilet..?.
Il descend donc héroïquement les marches qui mènent à la baignade. Une fois qu'il est dans l'eau je réalise que je n'ai même pas une bouée à lui envoyer en cas de pépin. Je récupère une défense, que je garde contre moi. Je profite d'un moment où il fait surface pour le quitter des yeux un instant et je décroche la gaffe. Au cas où mon bras serait trop court si je dois l'aider à remonter. Notre cap est au 90. Si je dois faire demi-tour pour le récupérer en perdition, faudra que j'aille au 270... Je réfléchis à tout ça, et je scrute sous le flotteur à me décarquiller les yeux. De temps en temps, j'aperçois un pied ou une main qui gigote à fleur d'eau. Il est toujours vivant. Vous imaginez tout ce qui peut me passer à l'esprit, alors que nous dérivons gentiment au milieu de l'océan, que Laurent s'éternise dans l'eau et me laisse seule à bord.... Est-ce qu'avec la gaffe je peux exterminer un requin....Je tremble comme une feuille;
Nous sommes à 26°56 N et 62°37W et Laurent prend tout nu son bain de l'après-midi. Quel frimeur ! 
En une éternité et quatre plongées, il a libéré l'hélice. Donc tout rentre dans l'ordre. Il remonte à bord, triomphant. Moi, je me sens un peu bête et nulle sur ce coup là. Je planque la gaffe et la défense de sauvetage discrètement. On met le moteur tribord pour donner de l'élan à Galatée et le réveiller de sa sieste... Loi des séries. Le moteur tribord démarre au quart de poil, et cale dès que Laurent accélère. Je suis bien contente ce coup-là de l'avoir pas mis en route moi-même. Je vois d'ici le regard inquisiteur : 
- Qu'est-ce que tu fous ? Démarre !
Le moteur ne cédera à aucune tentative; Aucune alarme ne couine (ne ouine dirait Ouin-Ouin le Bon Canard). C'est triste un moteur qui démarre pas; c'est déprimant, désolant et très énervant. Même après un bain vivifiant au milieu de l'atlantique à des centaines de miles de la terre.
Cet épisode nous rappelle du déjà vécu entre Motril et Carthagène avec Lune de Miel. Le diagnostic paraît évident. Le moteur ne démarre pas parce que le gasoil n'arrive pas... 
Course vers la case moteur. Observation, réflexion : qui a mis du savon dans le décanteur, il fait des bulles ! Bon on se contente du moteur bâbord pour remettre le bateau à son cap et repartir à la voile, la nuit porte conseil on verra demain. 

Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOGES.
 - Coucou La Denise, c'est encore moi, Ouin-Ouin, le Bon Canard. Je te rassure, avec mes équipiers c'est super. Ils sont d'une délicatesse. Tu vois, même qu'on ne parle pas le même langage, je sens bien qu'ils font des efforts pour se mettre à ma portée. Il y a du mimétisme dans l'air. Ils ont adopté ma démarche balancée. Ils plient les genoux, ils écartent les pieds vers l'extérieur, ils se dandinent avec une incroyable facilité. Rare cette élégance chez les humains. J'en suis tout ému. Il ne leur manque que les ailes pour être parfaits. 
Entre autres délicatesses, ils m'ont réservé dans les fonds du navire de superbes mares; il y a là une réserve d'eau régulièrement renouvelée et inépuisable; Je barbote quand je veux bien au chaud dans les entrailles d'un flotteur. C'est excellent pour mon hygiène et ma santé mentale. 
Nous avons été poursuivi ce matin par des espèces de gros volatiles noirs qui avaient l'air de vouloir monter à bord. J'étais content, ça me faisait de la compagnie. Nous leur avons envoyé du pain sec, des bananes séchées, des épluchures de pommes de terre pour manifester nos bons sentiments à leur égard. J'ai "Ouin-Ouiner" tout ce que pouvais avec mon bec handicapé. Mais ils répondait en "païe-païe", Je n'y ai rien compris. Ils n'ont pas fait beaucoup d'efforts pour nous connaître. Que des prétentieux ceux-là ! Je vais cacher mon âme mortifiée dans mon plumier. A plus....

Lundi 3 mai 2004 "31°12 N - 60°06 W" 
à parcourir : 1520 M/naut
C'est aujourd'hui le grand jour. Le vent passe au portant. 10/12 noeuds annoncés, le rêve. Pour comble de bonheur, à 6 heures du matin Laurent attrape une magnifique daurade coryphène au bout de sa ligne, de la tête à la pointe de la queue, 1,18 mètres, magnifique non. On règle d'abord son compte à la daurade. J'en réserve 500g que je mets au sel, (encore une pensée bien douce pour Jeanot qui m'a filé cette idée, lui c'est de goûteux haricots verts de son jardin qu'il conserve ainsi) et le reste au frigo. On en mangera au moins 4 jours, midi et soir. la daurade, on adore, ça tombe bien. Notre allure est très sympathique, toutes les voiles sont pleines. La mer varie les nuances de bleus. Elle ondule d'une magnifique mouvance. Elle se plisse à peine de sympathiques risées. Je me sens délicieusement, magnifiquement bien.
Laurent retourne au moteur défaillant. Il purge l'air, l'eau et dans la foulée change le filtre à gasoil. Tout paraît en ordre. Il remet le moteur en marche, je serre les fesses... Efficace ma concentration, ça repart aussi sec... Mais le mystère reste entier. Nous ne saurons jamais, qui à mouillé le gasoil. 
15h 30, notre vitesse tombe à 4 noeuds. On se croirait sur Lune de Miel. 
Inconcevable ! Spi dites-vous ? Ok, spi pour tout le monde !
Je ne vous détaille pas cet envoi magistral. Une maîtrise totale de l'opération. Qu'est-ce qu'on est bon tous les deux; J'adore les manoeuvres sur Galatée. L'accélération nous décoiffe. On passe à 7 noeuds. Véritable jouissance. J'inscris dans ma mémoire pour les jours difficiles le magnifique sourire de Laurent posé béatement sur l'horizon. C'est un beau spi, dans des nuances de bleus qui trouvent harmonie totale entre ciel et mer. Une jolie bulle qui se tient légèrement de travers, sans faux pli, ni faiblesse. C'est le plus beau moment de ces quelques jours parce qu'il s'inscrit dans la marche idéale du navire. Il fait doux. La daurade qu'on déguste à la lueur des étoiles est succulente. C'est une soirée merveilleuse à guetter la pleine lune. Je me cale à l'arrière, et je me laisse bercer. "mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou". C'est une nuit scintillante. Je capte trois étoiles filantes et je rêve; On dit qu'il faut faire un voeu très vite à l'apparition d'une étoile filante. 
Je dépose la première étoile sur une petite fille qui va naître bientôt dans l'amour d'Alexandra et d'Olivier. Je rends aux deux autres étoiles leur liberté de bienfaits.

Mardi 4 mai Position : "32°00 N - 57°26 W" 

Nous passons une nuit idéale. Juste réveillés à tour de rôle par le souci obligé de la navigation. Le jour se lève toujours vers 4 heures du matin. Le vent est au Sud. Nous envoyons de nouveau le spi à 6h30 avec toujours autant de facilité. Notre vitesse est de 9 noeuds. Le vent apparent est de 12 noeuds.
- C'est fou ce qu'il marche bien ce navire. Dis Laurent, on est devenu sacrément bon au spi. Ils ont qu'à bien se tenir les potes de régates...
Mais Laurent est dans un autre monde. Pour le moment, il scrute la têtière de spi en se frottant les cheveux d'un geste machinal qui ne laisse aucun doute quant à son état d'esprit. Il a au moins un souci, et voudrait bien débusquer la solution sous ses cheveux... Moi, quand je suis contente, je voudrais que tout le monde le soit. Alors j'insiste. 
- Hou hou, tu n'aimes pas notre allure ?
- Ouhais, si bien sûr. Mais il ne m'inspire pas ce spi. Il n'est pas de première jeunesse; il a déjà été restauré quelquefois. On a intérêt à surveiller le vent. Si on frôle les 15 noeuds, à mon avis c'est la catastrophe pour nous et la voilure de Galatée.
Des fois, il est bizarre cet homme. C'est vrai la mer est magnifique, le ciel est magnifique, le spi est magnifique, tout ça pour faire une bien belle allure à plus de 8 noeuds. Et Serge V. nous a dit d'utiliser le spi sans hésiter. Alors, dites-moi, pourquoi s'inventer d'avance des problèmes...
Laurent continue de se gratter les cheveux. Nous chercherait-il des poux dans sa tête, un si beau jour ?
- Et si on en profitait pour réparer le filet du trampoline ?
- T'as raison, ce sera sympa...
Vous me verriez gambader sur ce trampoline, vous ne me reconnaîtriez pas. On revoit tous les élastiques plus que douteux qui ont été malmenés par les giclées d'eau. On coupe des bouts, on noue, on rafistole. On chante en travaillant, on rigole, on se secoue sur le tatami. La vie est si douce au milieu de l'atlantique.
A 10 heures on revient à l'arrière du bateau mais folâtrer à l'élastique, ça m'a épuisée. Je confie donc notre si belle embarcation au skipper du bord et je m'installe pour dormir dans le carré. Effet instantané.
Ouille, ouille, ouille... Je rêve d'une formidable explosion ? Un bruit de voile qui se froisse, des claquements de drisse. Un Laurent qui hurle. "Arrive vite, le spi a explosé"
Le spi n'est pas gonflé à l'hélium que je sache ? Mais j'ai le sens de l'urgence et je bondis. C'est pas beau à voir. Un vrai cauchemar. C'est pas compliqué à décrire, le spi est fendu de haut en bas, en deux parties qui battent dans le vent. L'écoute qui a été lâchée instantanément s'empêtre à l'arrière du cata pas marrant du tout. Le boucan est épouvantable. Laurent à l'avant, repêche à toute vitesse des lambeaux de tissu dans lesquels le vent s'engouffrent. Il ne sait où donner de la tête. Je ne réfléchis même pas, je me précipite et me jette à plat ventre dans le tas tout en tirant un maximum de tissu vers moi. On arrive ainsi à récupérer un énorme tas de chiffon détrempé. Un spi, cette monstrueuse serpillière ? Les cordages se déchaînent, Tu parles d'une valse... Et un cri de Laurent.
- Vite la canne à pêche, elle se barre...
Je me rue à l'arrière. Et je me bagarre avec une drisse, une écoute, un bras de spi enchevêtrés prisonnier du barbecue. Entortillé autour de la canne à pêche un vilain cordage la tire inexorablement dehors... Je me dépatouille comme je peux pour libérer l'écoute coincée à mort autour du barbecue. J'y suis presque, un épouvantable coup de drisse me fouette la main. Ma main, quelques instants prisonnière du barbecue, de la drisse et cette écoute incontrôlable qui me martèle les phalanges. Un cirque, l'horreur. L'idée me traverse que si je ne me dégage pas illico, je vais me retrouver dans peu amputée des doigts. La panique me donne de la ressource, et je finis par me libérer et du coup à empoigner la canne à pêche, que je sauve ainsi d'une noyade assurée, mais je vous le redis, car c'est très grave, au péril de ma main gauche. Dites encore que je ne suis pas capable d'héroïsme... vous autres, bien tranquilles au bord de votre piscine ou dans votre hamac sous les cerisiers.
Ma main n'est pas belle à voir. Et je ne vous ferai pas cadeau du spectacle. En gros, elle a tout d'une aubergine qui aurait grossi coincée entre des cailloux. Et je ne vous ai même pas dit combien je souffre. Normal, puisque j'ai décidé d'être héroïque. Je berce donc cette pauvre chose si vilaine et me laisse tomber sur un siège du cockpit. Je suis dégoûtée de la vie. Laurent me rejoint.
- T'as un problème ?
Je lui montre l'aubergine. Aïe, aïe, aïe... Il me soigne au gel d'arnica. Et je crie comme un veau au contact glacé du produit. Je ne parle plus, je ne pense, plus, je ne regarde plus la mer, ni le ciel, j'attends que la douleur s'anesthésie d'elle-même. Et je demande une journée de congé pour accident de travail. Accordé !

 Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
- Coucou, salut la Denise. C'est moi qui revient ! Ouin-Ouin, le Bon Canard !

 Il s'en passe de bien bizarres ici ! Finalement le plus gros danger pour moi ce n'est peut-être pas la mer. Il y a peu de temps, j'ai cru que nous allions accueillir un nouvel invité à bord. J'étais canardement content. Je me suis dit que ce serait chouette de faire "couaroche" avec un autre animal. C'était un joli poisson de taille respectable, plein de couleurs, jaune, vert, vaguement rasta avec tout ce fluo. Il m'inspirait bien. Lorsqu'enfin il a été hissé sur le pont, j'ai pensé qu'il avait du être victime d'un règlement de comptes. Il était salement amoché et saignait abondamment. Il faisait peine à voir. J'ai pensé qu'on allait le retaper, lui offrir soin et réconfort comme l'imposent les règles d'assistance et de courtoisie en mer. C'est alors que le skipper est sorti du carré en brandissant un couteau suisse grand ouvert. Son regard acéré m'a terrifié. Son sourire féroce découvrait des dents de carnassier. Et sa langue qui se pourléchait et son regard cruel et impatient... Je vous jure un vent de folie souffle à bord, que la météo n'a certes pas prévu. Au secours, vite aux abris ! Où est mon plumier ?

 

Horta - Açores

Mercredi 5 mai 2004 - Position : 32°16 N- 54°00 W restent 1320 M/naut

Nous avons passé une nuit difficile. La houle par le travers s'est intensifiée, des vagues courtes qui déstabilisent et nous harcèlent. On fait du rodéo sur les crêtes... Je suis traumatisée par l'accident de spi, dans un véritable état d'angoisse que je n'ose pas dire à Laurent. J'en pleurerais si je n'étais pas si grande...
Je m'endors douloureusement. Peut-être même que je perds conscience. A un moment, j'identifie le souffle géant de la vague sur la trappe de secours sous le plancher. Là non plus le hublot n'est pas étanche. Des giclées d'eau envahissent le puits, et ressortent dans une monstrueuse succion. A quel moment une vague décolle-t-elle le hublot ? Elle envoie le caillebotis à travers le carré et la violence de ce ras de marée sépare le catamaran en deux. Dans un fracas épouvantable Galatée s'ouvre comme un abricot. Je suis couchée dans un flotteur, qui devient kayak et prend l'eau de partout. Je vois de la mousse qui gonfle, qui m'étouffe... Laurent disparaît par moment dans l'autre kayak sur tribord. Il cahote à quelques vagues de moi, mais le boucan de chutes d'eau, de succions, de chocs et de coups dans la coque est tel que je ne comprends rien à ses hurlements. Une drisse voyageuse depuis mon flotteur passe en tête de mat et retourne vers Laurent. Elle est rouge et noire. Un espèce de cordage minable traîne dans l'eau. Zut, l'hélice du moteur ! Je ramène ce bout dangereux qui se transforme en linge gluant et suintant. S'il est toxique tant pis pour moi, je n'ai pas de gants. Je le tire. C'est une écoute qui me rapproche en douceur du flotteur de Laurent. Mais je me demande où se trouve le pilote qui couine comme une souris.
- Janou réveille-toi on a un problème !
Je jaillis en liquette dans la nuit; Il y a bien des étoiles à profusion et même un bout de lune dans le ciel. Il est 3 heures du matin... Le froid me transperce de la nuque aux talons. "Of course" dit le pilote automatique, et ça veut dire qu'il n'est pas d'acccord avec lui-même. Tiens donc... Pas grave, ça arrive souvent. Pourquoi Laurent s'affole-t-il ?
- Peut-être que le vent a fait un caprice. C'est pas la première fois. Remets Galatée dans le lit du vent d'un coup de barre.
Réponse quelque peu irritée, d'un qui est mieux réveillé que moi.
- La barre est à fond, impossible de se remettre au cap. On est à l'arrêt...
- Mets le moteur !
- Oui, mais je crois que quelque chose fait systématiquement tourner le bateau à droite. On est coincé je t'assure. Je ne sais pas quoi faire !
Moteur ! On repart mollement. La bête rechigne, une vraie bourrique ce navire quand il s'y met. Le spido recommence à compter... Ouf, il a pas perdu l'ordre des chiffres.... On passe à 7 noeuds au moteur et on a le bon cap. Où est le problème ? Si on était coincé, pourrait-on avancer à 7 noeuds au moteur ?
On affûte nos réglages de voilure ; on attend un peu. Point mort. Une minute, à peine... et le bateau imperceptiblement recommence à flairer le vent. On dirait qu'il ne peut pas y résister. Quant au pilote automatique, il bloque la barre à gauche mais on remonte toujours au vent. Au milieu de la nuit, c'est insurmontable comme casse-tête. On relève les dérives. On fait marche arrière. 
Si quelque chose est coincé dedans ça décoincera peut-être. Trop simple pour être vrai... Totalement inutile. Même après plusieurs tentatives, impossible de rester au cap. Finalement aucune solution cohérente n'apparaît. Laurent se gratte toujours le cheveux, mais l'effet magique ne se produit pas. Ecoeuré, il tente un truc qui n'a aucune chance de marcher.
Mais il est fatigué alors ... quand la logique est à court d'idées autant faire avec le farfelu. Le mérite c'est de nous donner l'impression qu'on avance dans la solution. Il choque la grand'voile jusqu'à la déborder complètement. Il l'assure avec la retenue de bôme. Et il borde le génois à fond. Une vraie planche à repasser ce génois et notre allure pour le moment c'est du largue. Décidément, j'ai tout à apprendre en matière d'allure et de vent... Parce que ça marche super bien. On attend au moins une demi-heure. On assure les réglages et on repart à 8/9 noeuds, cap 74, impec. La notice technique Catana conseille de relever plus ou moins les dérives lorsque la vitesse augmente et selon l'allure. (hein Serge ?). On applique la règle. On relèveles dérives, juste ce qu'il faut pour ménager le bateau. On ralentit à 6 noeuds et Galatée se remet instantanément face au vent... Quelle nouille ce cata. Aucune consistance ! Il serait du genre masculin celui là que ça m'étonnerait pas !
Finalement on laisse nos voiles dans leurs positions peu orthodoxes, choquées et bordées à la fois. On redescend les dérive pour se stabiliser et nous reprenons notre route pour finir la nuit bien préoccupés mais avec un pilote qui maîtrise la barre.
Lorsqu'on navigue on peut ainsi être amené à de graves et essentiels problèmes techniques et intellectuels. Ils ne souffrent aucun délai de réflexion. Qu'il fasse nuit, que nous soyons complètement la tête dans le coma, et les yeux pisseux ne doit pas nous empêcher de réfléchir "intelligent". Et vous autres pendant ce temps là, vous vous demandez qu'est-ce que vous allez manger à midi, où est votre dentifrice ou pourquoi votre compte bancaire est en débit ? Que des futilités. Comme je vous envie quelquefois.
Le jour se lève sur un ciel tourmenté. Le vent a passé la masse nuageuse au fer à friser pendant la nuit. Tout autour de nous, les cirrus étalent leurs lignes crantées et les petites virgules qui s'échappent de cette belle chevelure nous inquiètent quelque peu. Un front froid s'annoncerait-il ? Le baromètre est toujours à 1024 Hpa, toujours en hausse. Mystère !
Il y a maintenant une semaine que nous sommes partis de Saint Martin. Nous avons parcouru 1145 M/nautiques, une moyenne de 163 M/naut par jour. Vous remarquerez que nous ménageons notre monture avec une moyenne de moins de 7 noeuds. 

Jeudi 6 mai 2004. Position : "33°02 N - 50°50W" Restent : 1155 M/naut.

Nous décalons nos réveils d'une heure. Histoire de rattraper le décalage horaire qui nous attend aux Açores, sachant que là-bas nous vivrons à l'heure TU. C'est l'heure du Réseau du Capitaine. Et c'est Jean-Yves (VE2NOR) qui envoie le premier pavé dans la mer :
- Désolé, les amis, une dépression se forme au nord. Vous y serez dans 24 heures. On parle de 35/40 noeuds de vent. Vous ne pourrez pas l'éviter...Pierre (VE2VO) appuie sur l'alarme :
- Laurent va falloir que tu prouves tes talents de navigateur. Prépare toi, et surtout prépare Janou psychologiquement. Je pense que tu sais faire...
André (VA2AF)avec sa voix si grave assène le coup de grâce :
- Laurent prépare des coussins pour Janou, si ça se passe mal, tu nous appelles on vient la chercher.
Merci les potes pour votre sollicitude, ça me va droit au coeur. Mais franchement j'en mène pas large à ce moment-là. Vous avez vraiment rien de mieux sous la main question météo ? Il est 7 heures du matin, et je n'aime pas la journée qui s'annonce. 
Vous connaissez Laurent a force de le pratiquer à travers les coucounets ? 
Voilà ce qu'il dit :
- Ne sois pas inquiète. On n'a aucun problème; 35 noeuds de vent, on les a déjà eus avec ce cata sous les grains. T'as bien vu, c'est facile de réduire. A 33 noeuds on a pris deux ris. On a de la marge jusqu'au 3ème ris, et même un 4ème si on veut...
- Tu parles d'un 4ème ris. La bosse n'est pas passée et y'a même pas de poulie disponible dans la bôme. A quoi il va bien pouvoir nous servir ?
- On peut en libérer facilement une. On utilisera la poulie d'un ris qui ne sert pas. C'est une super option du cata ce 4ème ris.
- Comme si tu dis qu'une voiture a cinq roues. Belle option la roue de secours, si tu veux t'appuyer dessus et qu'elle est dans le coffre.
- Allez regarde comme la mer est belle, le baromètre monte à 1025, elle n'est pas encore sur nous la dépression.
A 16h 30 on retrouve Michel (F5DV) qui nous donne la météo précise préparée depuis le Canada par Jean Yves. Normalement dans ce contact radio, on prend notre tour. Nous passons en 3ème ou 4ème position Laurent et moi en fonction du trafic. Je panique presque quand j'entends Michel annoncer d'office. 
- Je m'adresse en priorité à Laurent, F6FEH, j'ai de la météo d'urgence pour lui... 
Il confirme la cata-strophe pour très bientôt, et renouvelle les incitations à la prudence.
Condoléances des potes navigateurs qui naviguent dans des zones plus calmes, au moteur. Aïe aïe aïe ça se confirme et c'est grave !
Commence alors pour nous une véritable fuite devant la dépression. On ne vit plus qu'au rythme de la météo. Celle du Réseau, le matin, qui nous assure de toute sa compassion et nous taquine un peu, mais nous inquiète vraiment. Ils ont raison d'ailleurs, il ne faut jamais prendre ce genre de menace à la légère. Nous nous référons à la météo fine et personnalisée que Michel nous transmet le soir pour 24 heures. Elle a été préparée par Jean Yves, elle est d'une précision remarquable. On recoupe avec la météo de soirée que Laurent capte en BLU de Boston sous forme de cartes. Boston nous donne les prévisions sur 48h et 96 h. l'alerte donnée par Jean Yves s'y retrouve. La dépression s'enroule joliment derrière nous. Elle s'étale dans une zone terriblement vaste et nous poursuit de ses assiduités. 
Le décor de ce texte se complique; nous subissons toujours une houle profonde de plus de 3 mètres. Des vagues croisées brisent cette houle et transforment la mer en soupe mixée. Nous subissons toujours le fracas des vagues et leurs secousses dans le carré ; on se casse toujours la figure, et on pompe toujours l'eau dans les fonds des flotteurs. Boire un thé, une soupe ou un café relève toujours du défi. Vous vous souvenez des Jeux télévisés de Guy Lux. Une équipe devaient transporter un verre d'eau sur un plateau en se déplaçant sur un tapis que l'équipe adverse secouait frénétiquement... Nous devenons des champions dans ce domaine... mais il nous arrive encore de boire par inadvertance avec un oeil ou une narine... Il nous arrive aussi de nous affaler sur la table du cockpit alors qu'on veut s'asseoir à l'arrière du flotteur. Géniale la stabilité sur cette savonnette; comme les cata sont réputés pour leur stabilité, rien n'est prévu pour retenir les objets posés. Le pire c'est l'espace cuisine; c'est très joli, plus joli que chez moi. Bien entendu ce très beau plan de travail ne supporterait pas les cardans que nos installations de cuisson sur moncoque doivent subir. Comme toutes les casseroles camboulent systématiquement pendant la cuisine, nous fixons deux pinces étaux de chaque côté des ustensiles qui sont sur le feu. Si Laurent n'avait pas eu cette idée, il fallait se résoudre à quelques ébouillantages et à lécher notre soupe sur le plancher. 
La dépression qui s'annonce pour aggraver ces incommodités, ça ne m'emballe pas du tout. Je voudrais bien être à la maison à rôtir sur la terrasse au lieu de me faire courser par de gros nuages gris.
On a fait la moitié de la traversée, on devrait faire la fête, manger des crêpes au Nutella et boire du Chinon. Mais le coeur n'y est pas. On se met cette charmante soirée de côté pour fêter l'après dépression si on y survit. L'idée d'ailleurs me traverse qu'on ferait mieux de s'offrir une charmante soirée tant qu'on est encore de ce monde... J'ai rêvé d'avoir une petite fille. Elle est presque prête et si ça se trouve j'entendrai même pas ses premiers "ouinements"... Zut alors, ça je ne le dis pas à Laurent. Il a un moral d'enfer. Il a calculé qu'en surveillant notre vitesse, surtout en aucun cas ne descendre en dessous de 7 noeuds, nous arriverons à Horta avant le grand frais. 
- On va traverser en 14 jours et sans le moteur. T'es chiche ?
Et moi qui suis toujours prête à toper, je ne me sens pas l'âme joueuse. Je dis oui, bien sûr, mais si peu convaincue.

Vendredi 7 mai 2004 position " 35°07 N - 47°OO W" distance à parcourir : 945 M/naut

Le baromètre grimpe toujours, 1026 Hpa, mais la dépression ripe sur l'anticyclone des Açores qui descend mine de rien vers le sud. On évite la route nord, le mieux qu'on peut avec le vent qu'on a. On se relaie la nuit pour surveiller les humeurs du vent, les frissonnements des voiles et les états d'âme du pilote automatique; la journée c'est plus facile on a l'oeil et l'oreille en alerte permanente et on réagit beaucoup plus vite. Ce sont d'étranges nuits. Nous sommes réveillés par un changement imperceptible de battement de voile; ou par un couinement inattendu, ou par un ralentissement du brassage d'eau dans le sillage. C'est subtil mais ça dénote dans le raffut ambiant. Nous passons vite fait un ciré sur nos vêtements de nuit. (vieux pantalon en coton et liquette, ou vieux jogging bien ample). N'oublions pas que la mer est toujours facétieuse et que la vague qui va nous inonder ne prévient jamais. Premier coup d'oeil dehors, état de la voilure, direction du vent, cadrans indicateurs, vitesse du vent apparente, vitesse réelle, vitesse du bateau, cap... On retouche ou on retouche pas. Si un ris est à reprendre ou à relâcher on le fait à deux. Sinon celui qui s'est levé le premier laisse l'autre au chaud et fait comme il pense que c'est bien de faire. Quand tout est en ordre avant de se recoucher, dernier regard vers le ciel... nuages, pas nuages... gros grain, ou petit grain... Avis du radar...l'analyse globale est bonne on se recouche; on oublie la vie envahissante des choses qui bougent, vibrent et crient en permanence dans le carré. C'est peut-être pas cette nuit que la dernière vague explosera le cata. Et quelquefois on se rendort avant la prochaine alerte...
Nous vivons au rythme des astres et des catastrophes qui n'arrivent pas. Nous nous couchons vers 20 heures, des nuits très agitées, très houleuses, épuisantes... Nous sommes installés dehors à l'affut du soleil dès 4 heures du matin. On en a grand besoin pour se réchauffer les os et le moral.
Lorsque le jour se lève, jusqu'à ce que le soleil soit sorti de l'horizon, la mer se creuse. La houle monte vraiment à l'assaut des bordées. On se fait inonder par l'écume. Nous croisons des cohortes de méduses à voile et je les observe fascinée. On dirait qu'elles sont ballottées par la houle, qu'elles se laissent porter à la va comme je te pousse. Lorsqu'elles se trouvent au portant, le vent gonfle leur minuscule voile qui se dresse et les méduses partent d'un grand élan. Elles avancent en remontant au vent. Lorsqu'elles sont face au vent, leur voile retombe. Elles se laissent de nouveau porter jusqu'à ce que la mer les remette dans le lit du vent. Elles sont si jolies les petites méduses à voile avec leurs reflets irisés de mauve et de rose. Elles reculent pas, elles, quand elles sont face au vent. Ce sont les bijoux de l'atlantique. Si dangereuses aussi. Mes doigts s'en souviennent encore, de la caresse des filaments, il y a deux ans.... Alors j'admire béatement, je rêve mais je ne touche surtout pas.
Vers 9 heures, on se love dans la chaleur du soleil, à l'abri des retours intempestifs de vagues qui grimpent lestement à l'avant des flotteurs et balaient inlassablement le trampoline. La houle diminue et peut descendre à moins de deux mètres. Le problème c'est la mer du vent, qui ébouriffe la surface de l'eau et provoque de grands déferlements d'écume. Lorsque nous somme moins secoués, Galatée avance toujours en cahotant, ses deux pieds trop grands ne se synchronisent pas. Il reste en déséquilibre permanent. Mais les mouvements deviennent plus doux. On est moins bousculé, on a le temps de se rattraper à un chandelier, une filière ou un hauban.La météo annoncée si désastreuse nous incite à fermer le plus possible nos issues qui font de Galatée une pissoire. Nous décidons de scotcher tous les hublots du pont par l'extérieur. Nous décidons de virer tout ce qui évoque du danger à bord ou de l'insécurité. Le barbecue est désinstallé et mis au fer ainsi que les cannes à pêche. Bien fait pour eux. Nous déplaçons la planche à voile vers le milieu du bateau, mieux arrimée, car tous les cordages ont pris du jeu. Le surf, et les wishbones, descendent aussi au fond du cata. Ceux là ne nous voleront pas sur la tête si notre navigation s'aggrave.Tout ce travail qui nous déplace vers l'avant du bateau nous offre en prime de belles aspergées d'eau de mer. En fin de matinée j'abandonne pour préparer le repas et Laurent continue ses navettes entre l'avant et l'arrière, le dehors et le dedans, dans son ciré ruisselant.Après le repas, il décide d'aller fixer plus solidement la housse de baume (excusez-moi, j'adore cette malice d'écriture, et j'en ai tant besoin de "bôme" au moral). 
La partie avant du lazzy-bag qui passe autour du mat offre trop de prise au vent. Et là, les filles ouvrez grands les yeux; Imaginez que je parle ainsi de votre compagnon, votre favori.
Il transpire à s'agiter ainsi sous sa capote plastique (je parle du ciré). Il décide donc de travailler à l'aise. C'est l'après-midi, le baromètre grimpe toujours et le ciel est limpide. Donc, cet homme si élégant, d'un geste définitif, enlève son caleçon. Mais comme la mer mouille sérieusement à l'avant, là où il va pour travailler, il garde la veste de ciré. Vision très érotique d'un homme qui gambade tout nu dans sa veste rouge, d'où dépassent très subtilement les rondeurs de son joli derrière offert aux vagues. Cette petite folie mise à part, nous sommes très sérieusement préparés. Je ne crains même plus le coup de vent. Et puis je suis complètement d'accord avec Laurent. Aussi longtemps qu'on est devant la dépression, elle nous rend service puisqu'elle nous assure le vent qu'il faut pour avancer... Franchement on ne peut pas rêver mieux, mais faut surtout pas mollir.

Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES 
Coucou, la Denise, t'es toujours là ! je suis de nouveau avec toi. C'est moi, Ouin-Ouin, le Bon Canard. Je suis content d'écrire à quelqu'un qui me comprend. Des fois j'ai l'impression que j'entends sourd. Par exemple, à bord il y a une radio. Elle m'a d'abord enthousiasmé. Cette modulation que mon oreille à perçue, c'était du Ouin-Ouin tout craché. Incroyable non, des humains qui ouin-ouinent.
J'ai écouté attentivement. Très étrange, je comprenais tous les mots, et pourtant les phrases n'avaient aucun sens. Quelqu'un passait des chiffres ou des lettres, le correspondant les reprenait. Ils n'en finissaient pas de se balancer des listes de chiffres et de lettres chacun leur tour, ils les répétaient, répétaient ; un autre correspondant reprenait avec un autre système de chiffres de lettres. Et ça recommençait. Mais de quoi s'agit-il vraiment ? 
Un code de communication ? Ce navire innocent est-il un repaire de bandits, d'agents secrets ? 
Dialogue entendu hier vers 16 heures :
- Est-ce qu'il y a encore des canettes dans la cabine ?
- Bien sûr tu veux que j'en monte une ?
- Oui, si tu veux....
Alors là, je n'en crois pas les oreilles que je n'ai pas. Il y aurait des petites canes à bord de Galatée et j'en n'aurais rien su. Je suis pris de tremblements, j'ai la tête qui bourdonne, j'ai le coeur qui palpite, l'estomac qui chavire et mon âme qui ouin-ouine, qui ouin-ouine.... Je roule littéralement sur les talons de la femme qui descend chercher la canette. Sera-t-elle blanche, grise ou brune, ma petite canette ? Moi, j'ai un faible pour les brunes. Je rêve d'une jolie brune à la pupille sombre et veloutée... Avec un gros croupion clair... Alors là, je ne me contrôle plus... Je m'empêtre dans les marches, je dérape en virant dans la coursive, je suis pris de spasmes nerveux lorsque la femme se penche dans le coffre à canettes. Aucun son ne sort du coffre. Que signifie ce silence ? Mes amies auraient-elles été droguées. Si ça se trouve c'est un navire espion qui fait la traite des canes blanches ? 
Je vais mener une enquête discrète mais je n'aime pas trop ça.
Bon je suis peut-être en danger, faut que je me protège. Je vais connecter mon plumier sur www/ausecours.nav. Je te reparlerai plus tard, si je survis !

Samedi 8 mai 2004 position " 35°06 N- 43°14 W" restent : 740M/naut 
Je subis de nouveau la pression de la dépression dans ma tête. On se fait rattraper par le mauvais temps ! Le baromètre est tombé à 1025 Hpa au milieu de la nuit.
Il est 4 h du matin, une faible clarté passe par les hublots. Dans mon sommeil je sens un effleurement dans les cheveux. Une présence discrète, à peine un souffle, une brise toute douce. Le froissement d'une aile sur mon front. Je n'ouvre pas les yeux, c'est doux comme un rêve. Mais je suis intriguée. Je passe la main dans mes cheveux et j'y rencontre ceux de Laurent plus courts, plus soyeux.. Il sait que je suis inquiète. Il sait que je ne suis pas enchantée par la journée qui s'annonce... Simplement il me dit, "ne t'inquiète pas. Je suis là et tout va bien". Il a raison Laurent. Rien de mauvais n'arrive après le baiser du papillon.Toutefois lorsque je me décide à mettre le nez dehors parce que nous subissons une violente accélération, le ciel ne me fait pas de cadeau. C'est partout de la grisaille. La ligne de front froid est sur nous, bien chargée de pluie. Le vent passe à 35 noeuds en un instant. On prend un 3ème ris in extrémis. Galatée se ressaisit. Le problème de ces coups de vent sous grain, c'est qu'il lève une mer courte, violente et hachée. C'est épuisant à bord. J'en ai vraiment marre aujourd'hui mais je ne peux pas changer de bord. Il faut bien que je me contente de celui-là.
Nous serons malmenés, secoués, bousculés dans le tambour d'une machine à laver qui n'en finit pas de nous rincer et de nous essorer jusqu'à 14 heures. D'un coup les nuages reprennent un aspect plus clair; ils s'arrondissent, se font bonasses. L'allure revient au largue. Mais la houle est toujours fantasque avec de grandes vagues qui nous poussent de travers. Le navire devient volage. 
Il fait d'incroyables embardées. Serait-il ivre ? Le vent apparent revient à 2O/25 noeuds. Ainsi nous nous sommes rapprochés de la dépression qui nous a chassés devant elle. Intéressant comme effet... Je reprends espoir parce que si nous accélérons lorsque la dépression s'approche de trop près, elle n'a aucune chance de nous rattraper. Qu'en dites-vous ?

Dimanche 9 mai 2004 position : "35°58 N- 39°34 W" distance qui reste : 553 M/naut 
La distance à parcourir se réduit sérieusement. Les prévisions météo sur 96 heures nous permettent de penser que nous avons échappé à la dépression. Du moins son centre se déplace nettement vers le nord des Açores. Nous devrions pouvoir bénéficier des effets secondaires jusqu'à notre arrivée à Horta, île de Faïal. Ma main ne me fait plus souffir. elle est tout à fait désenflée. Elle a bien des couleurs un peu étranges qui varient entre bleu et noir... Mais nous ne la mangerons pas en ratatouille. J'avais tellement de soucis que je n'ai pas pris le temps de vous dire que nous n'avons pas vu un chat depuis notre départ. Trois immenses cargos au large à deux jours d'intervalle qui nous ont croisés de très loin, deux de jour, un de nuit. Quelques oiseaux qui ont fait un bout de route en piaillant derrière le sillage et nous ont laissé tomber. Nous n'avions rien de satisfaisant à leur mettre sous le bec. Mais aujourd'hui est un grand jour qui voit apparaître les premiers dauphins. Ils jouent entre les deux flotteurs. Ils nagent par groupe de 3 ou de 4. Ils caracolent. Ils sautent, ils plongent, ils nous guignent de leur petit oeil vif, et repiquent du museau. Nous nous sommes précipités à l'avant pour faire partie de leur jeu. Laurent tape en cadence du pied et moi je chante à tue-tête "ma commère quand je danse"... ou bien je pousse des petits cris comme ouin-ouinerait un bon canard. Entre les dauphins et nous c'est un festival de plus d'une heure. 
Ils réapparaissent dans l'après-midi et juste avant le coucher du soleil. 
Quelle journée de charmante compagnie.
Lorsque la nuit tombe, nos feux de routes ne veulent pas s'allumer. On verra ça à Horta. Pourvu que le feu de hune suffise à nous rendre visibles...
Le soleil se couche dans un flamboiement de couleur rose. Laurent dit que cela nous assure un temps idéal jusqu'à l'arrivée. 

Lundi 10 mai 2004 position "36°46 N - 36°18 W" restent : 388 M/naut 
Les dauphins ne nous quittent plus. Ils caracolent et louvoient comme s'ils étaient les cousins de Galatée. Peut-on rêver plus belle escorte ? Vers midi, je laisse flotter mon regard sur les imposantes dunes que la houle roule d'une ligne à l'autre de l'horizon. Les reflets sont superbes. Le soleil écrase le bleu outremer des vagues pour faire dans les risées une frisure d'argent. Je vois apparaître au loin un peu en arrière une immense gerbe de pluie. Etonnant giclée d'écume; Y aurait-il un rocher inattendu où se brisent les vagues par là-bas ? L'immense corolle de pluie réapparait plusieurs fois au travers. Non seulement ce rocher est immense mais en plus, il se déplace. J'appelle Laurent et ses jumelles. Ils confirment tous les trois qu'il s'agit très probablement d'une baleine. Elle avance à belle allure et nous suivons des yeux son magnifique jet d'eau, comme de la pluie qui tomberait sur une ombrelle invisible. Mais ça se passe vraiment très loin de nous. Je crois que je préfère ça. Vu la taille de la corolle, je n'aurais pas aimé me trouver sur la route de ce monstre marin. Echapper à une vilaine dépression pour que Galatée se retrouve bouleversé cul par dessus tête parce qu'une baleine distraite ne veut pas céder le passage. Ce serait vraiment trop bête ! J'ai rendez-vous avec une petite fille moi, dans quelques semaines et il faut que je lui apprenne à chanter, "ma commère quand je danse..." pour jouer avec ses premiers dauphins...
A propos du spi que nous avons fusillé, Laurent en lisant distraitement le livre de bord, s'aperçoit qu'il avait déjà souffert de déchirures en 2002... On comprend mieux, notre malchance.
Nous captons les premiers signes de vie humaine à la VHF, Susa'Na qui appelle Nérée. Comme les deux navires ont du mal à communiquer, Laurent s'interpose. On se lie ainsi par VHF avec deux voiliers qui font route pas loin de nous, vers Horta. On sympathise. Ok les amis, on ira ensemble boire un verre chez Peter Zee !

Mercredi 12 mai 2004 à 52 miles de l'arrivée. 
Nous sommes levés avant l'aurore. Le ciel est parfaitement dégagé. On avance bon train, au grand largue, avec toujours les larges embardées propres à Galatée qui ne dessoule jamais. On s'y est habitué. Galatée est un bateau ivre, ivre de vent, ivre de mer, ivre de ciel... un peu comme nous. Ainsi nous baignons tous dans une joie impatiente; nous sommes heureux, vraiment heureux Laurent et moi de savoir que nous allons bientôt toucher Les Açores. Nous y avons de merveilleuses traces à revivre.Nous scrutons l'horizon avec avidité. A 9h, nous sommes à 35 miles de la terre. Une ombre pointue se détache du ciel, mais les contours sont encore flous. Une écharpe de nuages se déroule sous la tête de ce sommet qui paraît immense, Pico, c'est le Mont Pico... 
Faïal est bientôt visible, avec ses sommets brumeux, ses prairies qui dévalent des collines, ses petites maisons blanches comme des maisons de poupée, dont les détails peu à peu se dessinent. Une route en lacets apparaît, les toits et les volets se teintent. L'énorme rocher éclaté du volcan baigne toujours son gros pied noir et torturé en avant de la falaise. C'est un moment tant attendu et si vite arrivé. Nous finissons ainsi d'enrouler notre corde de noeuds marins à travers l'atlantique. C'est un moment intense, et je crois bien que Galatée aussi vibre d'allégresse.


Intermède : FANTAISIE POUR SOURIRE AVEC MA PARENTELE DANS LES VOSGES
 - Coucou, la Denise, t'es là. Tu m'attends toujours. C'est moi Ouin-Ouin, le Bon Canard. On touche presque la terre. Je suis si content. La traversée a été excellente. Regarde ce bilan.
- Distance parcourue de Saint Martin à Horta : 2436 M/nautiques
- Durée : 14 jours
- Pas du tout de propulsion moteur. 2 heures occasionnelles pour remettre le navire au cap ou pour faire de l'eau douce.
- Notre vitesse moyenne a été de 8 noeuds.
Nous nous réjouissons de ne signaler aucune perte humaine, ni animale. Nous déplorons toutefois quelques pertes matérielles :
- un verre
- une assiette plastique
- Un spinnaker très usagé.
- Une gaffe 
- des feux de routes dont le plastique fendu avait pris l'eau.
L'équipage est en pleine forme. 
Je me sens magnifique. Influencé par la mode créole, je me suis fait friser les plumes. J'ai l'air d'au moins 6 mois plus jeune. Je suis beau, mais beau... 
Mais surtout, la mer iodée et salée qui m'a régulièrement lustré le dos a laissé dans mon plumage des reflets gris du plus bel effet. Je vais faire un malheur dans la Basse-Cour. 
Il faut maintenant que je sangle mon plumier pour l'envol, que je lubrifie mais ailerons. Sois patiente, la Denise, le Bon Canard arrive, à tire d'aile.
A plus...

Nota Bene de Horta, île de Faïal (ACORES) 
Nous laissons passer le mouvais temps sur Horta. Dès que la météo nous paraît favorable nous filons sur Punta Delgada, (Sao Miguel) où nous laisserons Galatée. (147 miles, une petite croisière que nous espérons sympathique entre les îles, les cachalots et les dauphins).
En attendant des vents favorables, nous tracerons comme la tradition l'exige notre empreinte En attendant la météo idéale, nous allons peindre notre empreinte sur le pavé de la Marina; pendant la traversée nous avons fait une esquisse de Lune de Miel (en 2002) et de Galatée (en 2004). Dessin polychrome dont nous sommes très fiers. 
Notre retour par avion à Marignane est prévue avant le 24 mai. Salut l'ADIS, je fais tout ce que je peux pour être là, mardi matin.