SARDAIGNE - 2003

Martigues /Asinara - Traversée

Côte Nord

Samedi 2 août 2003. Première vision de Sardaigne. C'est Italien...!
Ces premières îles du nord que nous avons longées sont arides, sèches, désertes.... Un tout petit village de pêcheurs où nous sommes abrités, Stintino, à l'intérieur du golfe d'Asinara. Paysage de granit rose magnifique et de maquis.... Sur le port, première dégustation de crème glacée italienne.... fondant, saveur, délicatesse dans le palais, fraîcheur...
La boulangère est notre premier contact à terre. Elle est jeune, elle est brune, elle est souriante et nous apprend nos premiers mots d'Italien. A presto !

Samedi 2 août 2003- STININO -Capo la Testa Mouillage de la Colba - 42 miles-
Nous devons traverser l'immense baie d'Asinara pour rejoindre le sud des Bouches de Bonifaccio, et passer sur la côte Est de la Sardaigne. Nous décidons d'engager un tour de l'ïle dans ce sens parce que les vents dominants doivent nous être favorables.... C'est une option dont la météo fera ce qu'elle veut. Vraiment ce quelle veut. Nous avons bénéficié d'environ deux heures de bon vent au largue, toute voile dehors. C'était extra. Et puis le vent a progressivement tourné et on a tiré des bords, de bons bords. Le passage de Bonifacio réputé si dur est passé en douceur sous une brise de force 2/3 où nous étions quasiment seuls à naviguer. Au loin, très au loin, noyées dans la brume, les falaises de la Corse paraissait intouchables. Le "Capo testa" est fantastique. Nous avons posé l'ancre dans une petite baie presque déserte au milieu de rochers étonnants. Nous avons fait 56 miles laborieux mais ça valait la peine. Le site est tellement extra que nous passerons une journée à déambuler entre des mammouths figés depuis l'éternité, des faucons prisonniers de leur vol, des drôles de personnages, mi-hommes, mi-bêtes, des loups, des aigles, gisants sculptés par la mer et le vent, tous droits sortis de l'antiquité. On a joué à "à qui elle ressemble cette roche à gauche, non l'autre à côté de la guenon ? Rigolo et défoulant. On a adoré cette crique. Mais en faisant l'andouille avec un gisant plus malin que lui, Laurent s'est fait mal au dos.

Le nord de la Sardaigne est une route formidable. On passe d'une île à l'autre, des paysages de rêve, Les îles portent des noms très évocateurs, "Razzoli" 'le point le plus haut fait 65 mètres ; Budelli avec le récif de l'Homme Mort ; La Maddalena qui nous est familière comme vaste zone météo ; l'isola Spargi ; Le plus beau mouillage se trouve sur l'île de Caprera, infesté de guêpes. On a fait un concours que j'ai perdu. Laurent en a exterminé 15 en les sabrant à l'opinel. Je trouvais plus subtil de les piéger dans une bouteille d'eau sucrée. Moins efficace. Je n'en n'ai eu que 12. Mais la technique hara-kiri en plein vol est terriblement risquée. Seul un homme peut le tenter. Nous n'avons pas lutté à armes égales sur ce coup là, Laurent et moi.
Nous avons fait des sauts de puce, 12 ou 15 miles chaque jour. On trouve toujours un abri presque isolé, avec très peu de voisinage. La promiscuité des îles implique une multitude de rochers. Une navigation attentive s'impose. La mer se hérisse de pics et de dents autour des côtes, beaucoup de roches à fleur d'eau ne sont pas repérées. Les dents de la mer, c'est ici. C'est passionnant tout ça. Du suspens, un peu de soucis, des merveilles de paysage. Et bien entendu pas de village à fréquenter. A propos de dents, je me suis fait mordre par une boîte de cassoulet. Très grave ! Ce genre de boîte qu'on ouvre avec un outil qui fait de beaux crans tout autour du couvercle. Donc j'ouvre ma boîte, je vide soigneusement mon cassoulet de canard pour le chauffer. Ce qu'il fleurait bon, sympathique comme tout. Je ne me suis même pas méfiée. J'ai voulu repousser le couvercle à l'intérieur de la boîte pour la compacter. Et vlan, mon doigt a dérapé. Je me suis retrouvée avec une main prisonnière de la gueule ouverte de ma boîte. Plantée jusque sous la racine de l'ongle cette vache de couvercle. Mais ça, vraiment c'est très douloureux. Même que j'ai pleuré. Pas d'inquiétude, j'ai de quoi me soigner.
Méfiez vous des boîtes de conserve désormais. Elles peuvent vous tuer par le botulisme ou vous mordre par pure méchanceté.

Lorsque nous passons à l'Est, le paysage change. Il y a de belles plages au milieu des falaises qui dévalent dans la mer. C'est la "Costa Smeralda" côte d'émeraude. Lune de Miel navigue en plein boulevard. On se fait doubler, croiser, dépasser par les navires des nantis italiens. Ils nous toisent du haut de leur yacht prestigieux. C'est bien bruyant tout ça. Nous dépassons sans état d'âme Porto Cervo infesté d'adeptes de la jet set et autres gros bourgeois repus qui ne vivent pas tous à crédit. Un monde qui nous ignore et nous le lui rendons bien. Des fois, l'un ou l'autre nous adresse un salut en passant. Mais je ne suis pas certaine. C'est peut-être un geste de coquetterie. Vous savez cette mèche qui tombe toujours sur le coin de l'oeil quand la chevelure s'échappe sous le vent... Dans le doute, je redresse aussi la mèche que je n'ai pas... Autant adopter les attitudes locales à défaut de parler la langue.
J'ai fini par être en panne de pain. Tentative de levain avec de la bière et de la farine, sur 24 heures. Nous avons ainsi récupéré quelques galettes comestibles pour tenir deux jours de plus.... Toujours pas de boulangerie à l'horizon.
Vendredi 8 août 2003, nous décidons de tirer un grand trait sur la Costa Smeralda, 38 miles annoncés et le vent nous est totalement favorables. Cap vers le sud, vers un autre monde.

Côte Est vers le Sud

Début aout. Une journée formidable, sous spi tout le long.... On avance à 7 noeuds, et plus sans faiblir. Laurent fait le ravi avec un grand sourire qui ne le quittera pas de la journée. Il en oublie son mal au dos. On s'accorde une pause en fin d'après midi à Cala Gonone. L'idée n'est pas brillante. On zone dans le secteur de grottes prestigieuses. Site touristique à outrance... Navettes en tous genres, locations de zodiaks, ça n'arrête pas toute la soirée. Vers 11 heures du soir quand enfin le mouillage se calme, c'est les bords de plage qui se réveillent. Sono primitive à pleine gomme dans les bars et les restos.... Il y a donc tellement d'abrutis en phase terminale dans ce monde ? Pour échapper à tout ça, on décolle tôt le matin, les yeux un peu pisseux d'avoir mal dormi. On a oublié d'acheter du pain et Laurent a de nouveau mal au dos. Mon doigt ne guérit pas bien. Il y a trop d'humidité autour de nous... Il gonfle autour de l'ongle, il est vraiment moche et hypersensible. La baignade m'est rigoureusement interdite par Laurent. Zut alors, j'avais un maillot tout neuf sous la main. Quel dommage... !

Samedi 9 août. Une belle navigation au largue le long d'une impressionnante chaîne de falaises granitique. La première marina que nous fréquentons se situe au pied du Monte Santu. Le site est exceptionnel. Nous sommes à peu près au milieu de la côte Est: Santa Maria Navarrese. On se replonge dans la civilisation. Premier souci, la boulangerie.... Plus tard on verra pour refaire un peu de frais, fruits et légumes.... en particulier. Pour le reste on peut tenir un siège de quelques mois. A propos, au bout de quatre jours de tupperware au sel, et à 3O° en moyenne, le thon de Jean et Denise, cuisiné avec une sauce bien épicée a été un vrai régal.
Demain on loue une moto pour aller voir depuis la terre de quoi sont faits ces superbes sommets qui nous font de l'ombre quand on navigue.Et puis j'essaie de trouver un site pour expédier ces messages.

enre les rochersGROSSES PENSEES ATTENDRIES A CEUX QUI SE MARIENT ou A CEUX QUI DEMENAGENT ou A CEUX QUI DEMENAGNET ET QUI SE MARIENT.MILLIONS DE BAISERS SALÉS À VOUS QUI VOYAGEZ DE SI BON COEUR AVEC NOUS.

 

 

Lundi 11 août 2003. Côte Est de la Sardaigne.
Nous venons de quitter la marina de Maria de Navaresse, juste un port mais très sympa dans un site exceptionnel ; la ville est à 3 km. Un calme remarquable et plein de places où se caser. Je vous conseille vivement cette étape. Sachez que la nuit nous a coûté 44 euros, avec l'eau mais sans l'électricité. Il aurait fallu investir 7,85 euros de plus et nous n'en n'avons pas besoin, grâce à l'énergie fournie par les panneaux solaires.
Dimanche nous avons loué un scooter pour une journée de folie à terre. Extra. L'engin qui nous a portés est tout neuf, et très luxueux, à mi chemin entre la mobylette et la Maraudeur... On ne s'attarde pas en ville, juste le temps d'acheter un carte de la région. La ville d'Arbatax, recommandée par le guide ne vaut vraiment pas le détour. Rien à y faire et le port est surtout industriel. Cette ville exploite le liège de l'arbre du même nom. C'est la seule activité. N'y allez surtout pas. Nous, on se casse en vitesse. On prend des petites routes qui doivent s'enfoncer dans la montagne. Une trentaine de kilomètres, trois petites communes. On voit d'abord dans un creux de falaise, des étages de maisons sobres, un alignement de murs blancs que les volets tachent de brun. Vilaines blessures à flanc de montagne. Pas de boutiques, une école. Un petit dépôt où on croit trouver pain, viande, légumes... Mais il est fermé. Il n'y a qu'un bar ouvert, ou un restaurant, et l'église. Les vieilles femmes que l'on croise devant leur porte sont habillées de longues robes noires très raides. Quelquefois, un fichu gris perlé leur couvre la tête, quelquefois c'est une capuche noire intégrée au vêtement. Elles sont maigres, le visage très sec, le nez étroit, de grands yeux perçants. Les vieilles femmes n'ont pas l'air commode de loin. Mais quand on les approche et qu'on les salue, elles changent instantanément de masque. Elles sont aussitôt souriantes et agréables. Quelquefois, elles sont assises à plusieurs au bas d'un escalier et papotent à voix basse. Elles font "coirauche", Elles sont d'une remarquable discrétion.
Les hommes aussi se retrouvent, à l'ombre d'un mur, sous un arbre. Ils semblent plus extérieurs. Lorsque nous passons en moto, je leur fais bonjour en passant. Je remarque leur air épaté. Nous sommes déjà passés. J'ai l'impression d'entrer dans un livre d'images. Fantastique ! Mais où sont les jeunes ?
Et les villages si vilains aperçus de loin, cachent d'étonnants trésors. Les murs des maisons sont décorés de fresques gigantesques. Ces peintures retracent des pages d'histoire, des scènes religieuses, des images du passé qui se mêlent à des images d'aujourd'hui. L'effet de relief est formidable. On n'a pas l'impression du tout que c'est du semblant. Quelquefois, le pignon d'une boutique est peint de fenêtres, de vitrines où sont étalées les marchandises, quand on tourne l'angle de la rue, on entre dans la vraie porte du magasin... saisissant.

Plus tard, nous traversons une zone de lacs joliment bleutés. Mais on n'y voit pas l'ombre d'une habitation. Personne, absolument personne ne fréquente ce site idéal.
Pour grimper au Mont Gennargentu (1834 mètres) nous choisissons le "passo corru e boi", ancienne route qui grimpe à 1273 mètres pour redescendre vers Tortoli. Elle a été abandonnée depuis qu'une voie neuve a été tracée dans le fond de la vallée. La nouvelle route permet d'éviter le col qui ne doit guère être praticable en hiver.
Mais cette route, quelle enchantement ! Encore une fois, nous sommes les seuls à l'utiliser. Au début elle paraît normale, sauf un peu défoncée par endroits. Pendant une vingtaine de kilomètres on grimpe tout doucement à flanc de montagne. Ce n'est pas une route ordinaire. La montagne ne se présente pas comme un immense bloc de granit qu'il faut grimper en lacets et contre lequel on se cogne. Pas du tout. C'est plutôt comme trois plateaux qui s'étalent en profondeur. La vue est très ouverte. Au premier plan qui borde notre route, on monte d'abord à travers des étendues de fougères, de bruyères et de rocailles. En second plan, où qu'on regarde, de magnifiques forêts de chênes liège, d'eucalyptus et de pins montent à l'assaut des chaumes. En arrière plan, tout au fond, de grands pics de granit roses et rouges, pointent leurs lances vers le ciel. Mais oublions le paysage. La route devient dangereuse. Elle est embarrassée de bouses de vaches, crottes et crottins de tout acabit, plus ou moins grillés par le soleil. On roule à trente ou quarante km/h, le thermomètre du scooter affiche 38°. Les vaches sont vautrées dans les broussailles, écrasées par la chaleur.. Les moins paresseuses flânent à travers la chaussée. Elles ruminent au milieu de leurs bouses en nous ignorant magistralement. L'une en équilibre au dessus d'un précipice se démanche le cou pour brouter d'inaccessibles pousses. Il est vrai que brouter ça ou des cailloux, le choix est bien pauvre. Et les vaches ici sont maigres... Les bouses et les vaches s'espacent. La route redevient plus claire. Laurent passe à 60 Km/h. Au détour d'un virage un peu sec, il sème la zizanie dans un troupeau de chèvres qui s'envolent presque tellement elles sont affolées par notre arrivée. C'est joli une envolée de chèvres. Un peu plus loin ce sont des cochons noirs qui traînent leur groin au ras des cailloux. Lorsque nous perdons de vue la garrigue, l'air se rafraîchit, on atteint le deuxième étage, entre 800 et 1000 mètres. J'éternue douze fois. La campagne se couvre de forêts. On caille mais on trouve ça délicieux. Nous passerons au ralenti au milieu des chevaux. Leurs pattes sont d'une finesse exceptionnelles et longues, longues....

 

Jusqu'à plus de 1000 mètres d'altitude on croise ainsi des troupeaux semi sauvages... Il n'y a pas de gardiens, pas de chiens, pas de maisons en vue... Au sommet, On slalome entre des moutons, avec leurs chiens cette foi. Des gardiens hargneux qui coursent systématiquement le scooter. Nous débouchons sur des chaumes grillés par le soleil. C'est le site que nous cherchons. "Bau e Tanca". Autrement dit, les ruines d'un village entier de l'époque néolithique. Un bel espace envahi de pierres plus ou moins empilées.... C'est l'époque nuraghique de la Sardaigne. nurageiCes sites, les "nuraghi" me font penser aux vestiges gaulois de Bretagne. C'est impressionnant et nous nous attardons volontiers à travers ces vestiges.. le thermomètre dégringole à 24°. Il fait bon, délicieusement bon flâner sur ces chaumes.
La route que nous continuons pour redescendre est de plus en plus scabreuse. D'énormes blocs de pierres sont descendus des falaises et la route est très encombrée. Laurent de nouveau roule au ralenti. Il est 17h30, on traverse un groupe de vaches avec les veaux sous elles. C'est l'heure du goûter des petits. Peut-être que la route est le terrain le plus stable pour téter dans de bonnes conditions. Notre passage ne les perturbe pas, absolument pas. Nous avons passé une journée hors du monde, environnés de silence et de lumière. Si un jour je veux rompre, je me souviendrai de ce pays.

Lundi 11 août 2003.
Nous descendons toujours vers le sud. Retour au mouillage et à la vie sauvage. Porto Frailis est à 8 milles nautiques. Petite promenade de santé avec une brise côtière sympathique....
Bavardage à bord :
- Oh mais ton doigt est guéri !
- Tu crois ?
- C'est super, tu vas pouvoir nager...
Voyons y de plus près ! A la lecture de mes loupes, je ne le trouve pas si net que ça mon doigt.
- Il est encore douloureux, j'aimerais mieux attendre encore un peu .... En plus, j'ai rangé mon maillot je ne sais où. Non, ce n'est pas possible !
- Ton maillot, pourquoi ? Va donc te baigner toute nue...

Vendredi 15 août 2003. Toujours vers le sud.fraili
Nous naviguons dans le golfe de Cagliari, nous avons fait quelques mouillages extras. La montagne progressivement se transforme en collines. Les côtes sont avenantes, de belles plages bordées de villas, de bosquets d'eucalyptus, de pins et de palmiers. Nous bénéficions toujours de brises côtières pas toujours favorables à la navigation mais bien appréciables dans les mouillages. J'ai quand même profité de ces conditions exceptionnelles de mer pour me familiariser avec les bains dans une mer turquoise qui ne cache rien de trouble dans ses fonds. J'utilise chaque jour l'échelle de bain et le gilet de sauvetage pour gigoter au ras de l'eau. C'est vraiment agréable; Un fois ou l'autre je fais preuve d'héroïsme. Je me risque en hurlant à quelques brasses du navire... Quel exploit ! Je suis loin d'avoir résolu mon problème avec le milieu aquatique, mais je ne veux pas vous pourrir la lecture avec mes problèmes personnels. Malgré la panique, ce sont de bons moments... quand je remonte à bord. La douche tiède à profusion, quel délice ! Je ne pourrai plus me passer du dessalinisateur à bord.

Nous sommes toujours en régime anti-cyclonique avec des brises côtières. Au mouillage, lorsque le soir arrive, la brise qui venait du large faiblit. Lentement, le soleil disparaît derrière les collines. Le vent devient nul. Le temps s'arrête. C'est l'heure bénie du mouillage, celle du hamac. Progressivement, la nuit s'installe, une brise légère pousse le nez du bateau vers le large. On tourne doucement autour de l'ancre. Lorsque la nuit est tombée, la brise de terre s'installe. Les odeurs chaudes de la terre envahissent le navire. Odeurs d'humus, senteurs des arbres, parfums des algues..... ou de plages... Le bateau se met de travers. On va subir la houle pendant une petite heure, se faire un peu bercer. La nuit tombe, la terre se rafraîchit. En même temps que la lune monte sur l'horizon, la brise de terre s'organise. Sympathique bouffée d'air frais qui va mettre le voilier le nez vers la plage et le restabiliser. Il trouve ainsi sa position de nuit, sage et calme. La lune peut continuer sa course vers l'ouest. Nous on est paré pour dormir au frais.
Depuis Porto Fraïlis, Passo de Quirra, Cala Pira, Baie de Carbonara, nous avons toujours trouvé des endroits protégés de la foule estivale et favorables aux mouillages forains. J'adore la Mer Tyrrhénienne. Il y a plein de mouillages aussi isolés que jolis et d'une tranquillité ! Peut-être trouveriez-vous que ça manque un peu de bars ou de thés dansants ?

 

 

Sud -Côte Ouest

Dimanche 17 août 2003
Nous sommes arrivés à Cagliari le soir du 15 août en espérant bénéficier de places au port, (la plupart des vacanciers finissent leurs vacances à cette date), et en pensant que nous profiterions de quelque festivité locale organisée dans la capitale de Sardaigne. Les ports sont quasi-vides et la ville aussi... Festivité ? Où donc ? C'est une très jolie ville, dont la partie ancienne est construite sur la falaise. Les remparts sont intégrés à la roche et c'est vraiment magnifique. Nous avons fait le chemin touristique comme il se doit. On enfile des ruelles tortueuses qui débouchent sur de chouettes esplanades, il y a quantité de chapelles, de basiliques, très fréquentées par les locaux. Les sardes sont certainement très pieux.
Je dois signaler la cathédrale Santa Maria vraiment merveilleuse où nous avons déambulé plus d'une heure subjugués par les plafonds, les murs, les petites chapelles et le musée. De l'art baroque à profusion, plein les yeux... Dans la basilique, c'était l'heure du culte. Elle était pleine de pieuses personnes très endimanchées. Le curé débitait de l'italien dans son micro. Des papillons de toute les couleurs voletaient autour des têtes plongées dans le recueillement le plus total. Mais ce n'était pas des papillons. C'était le mouvement des éventails que les femmes s'agitaient d'un geste mécanique sous les narines. Etonnant, cette ambiance de messe. Si j'avais été le curé, ça m'aurait vraiment dérangé ce mouvement permanent. Les gens ici font grand usage de l'éventail, même à l'église...
La plus grande surprise c'est que tout, absolument tous les magasins étaient fermés, on était samedi, mais il semble que ce soit la tradition, dès qu'il y a une fête de fermer boutiques, banques et services administratifs une semaine. Un peu comme au Cap Vert. Quelques rares bistros ou restos... On a quand même pu boire un coup !
Nous avons choisi le plus petit port de la Marina, un peu au hasard, nous avons bien fait. Il était sympa et pas cher. Je vous le conseille vivement, Marina del Sole, 24 euros la nuit, tout compris.

Lundi, 18 août 2003
A quelques milles de Cagliari, nous replongeons dans la vie sauvage. Nous avons passé une nuit à Capo di Pula, au bord du village antique de NORA. C'est un site qu'il ne faut surtout pas louper. Une ville romaine toute entière a été mise à jour. Elle s'est développée sur plusieurs périodes, de L'année 100 à 600 avant JC. On y retrouve les fondations des maisons, quelques murs qui donnent une idée de l'organisation de la cité, les thermes sont facilement identifiables, un temple avec 4 magnifiques colonnes en marbre gris et des rues magnifiquement pavées. Drôle de promenade, à la nuit tombée. Le mouillage avait un petit air d'outre tombe. J'ai beaucoup aimé cette ambiance unique. J'étais troublée. J'ai rêvé de ces pierres et mosaïques encore visibles sur les pavés, et je ne savais pas quoi répondre à cette question :
-Mais pourquoi les Romains ont-ils pris l'habitude de construire des ruines ?
Toutefois le mouillage à Capo di Pula a été très agité pendant la nuit et nous sommes contents de lever l'ancre dès qu'une petite brise nous caresse les oreilles.

Cap sur une autre crique de rêve. Malfatano.
Nous sommes à l'extrême Sud de la Sardaigne. Nous n'avons qu'une douzaine de milles à faire. Heureusement car le vent nous lâche très vite. On avance petitement au moteur, et la houle est pénible. Le paysage évolue; On quitte les longues plages de sable bordées de bosquets verts. La roche reprend sa place et tombe dans la mer. A Malfatano, nous retrouvons le site que nous aimons le plus. C'est une sorte de calanque prisonnière de caillasses et de collines d'où dévale un courant d'air bien agréable. La houle est coupée par les rochers qui bordent l'entrée du mouillage. Laurent n'a plus mal au dos
Lorsque le soir tombe, les rares embarcations venues s'expatrier ici retournent à leur port d'attache. Lune de Miel passera la nuit avec deux autres voiliers largement à l'écart de notre ancre.
Le tourisme à terre paraît très intense. Beaucoup de plages sont saturées de parasols. Mais ce monde-là ne nous concerne pas. Rares sont les touristes qui viennent de l'étranger. Même au niveau de la navigation. Presque tous les équipages sont italiens, même quand le bateau est immatriculé en France (Ajaccio, Nice, Antibes...). C'est même très fréquent.
Nous ressentons assez fort, l'identité Sarde et l'écart qu'il y a entre entre cette île et l'Italie. On nous a dit plusieurs fois, "ici c'est interdit, ici c'est payant.... nous devons en tenir compte ; nous sommes Italiens" Mais vous vous êtes étrangers, on vous laissera en paix.
Il est vrai que les autorités, les bateaux de douanes qu'on croise nous laissent une paix royale. Serait-ce vraiment différent si on était Italien ?
Cet échange aussi est significatif dans une boutique :
- Est-ce que vous parlez Français, ou anglais ?
- Non Sarde, mais bilingue.
- ?
- Si bilingue, le Sarde et l'Italien...

Jeudi 21 aout 2003. (à peu près... date incertaine).
Depuis Punto Pino, nous quittons le sud de la Sardaigne. Allons y pour une petite promenade en contournant la très large île de San Antioco, que nous verrons de loin. Au nord ouest de l'île nous nous engageons dans le canal de San Piétro, il est réputé scabreux avec des rochers affleurants pas toujours visibles et des hauts-fonds pas signalés. Mais nous venons du Sud et l'île de San Piétro est finalement facile d'accès. Nous posons l'ancre dans l'immense avant-port de CARLOFORTE, nous sommes les seuls au mouillage. Génial.

Carloforte, ville très touristique est envahie d'Italiens en vadrouille qui investissent les plages et la rue piétonne. C'est un peu comme Antibes. Petites ruelles intimes, escaliers qui débouchent sur des sites panoramiques remarquables. On est posé à terre. On se détend. Tout plein de bars et de panachés bien frais. Quelle opulence ! Lorsqu'on remonte à bord la vie intense du port nous fascine. Les navettes entre Cagliari, Arbatax ou Calasseta nous rappellent l'ambiance de Grand Bourg à Marie Galante. On se sent délicieusement bien dans cet endroit. Cette petite ville estivale nous offre un spectacle permanent, mais nous sommes au milieu de la rade. Nous ne souffrons ni du bruit des voitures, ni de l'agitation des bars, ni des remous des navires qui entrent et sortent de l'autre côté de la digue.  On perçoit juste une petite rumeur que couvre régulièrement le carillon sympathique de l'église. Deux jours de vacances à Carloforte, départ et surprise.
Au moment de remonter le mouillage le guindeau d'un coup peine, grince, patine... Je redonne un petit coup de vissage au frein.. et hop, hardi petit.... La chaîne monte avec une lenteur inquiétante... Je m'attends à ce qu'elle s'immobilise définitivement. Serrons les fesses, faute d'autre chose. J'ai beau scruter l'avant de l'étrave, je ne vois rien qu'une eau opaque et trouble.... S'il faut que Laurent plonge, aïe, aïe aïe ! Pour le moment, il a débrayé le moteur, la chaîne est verticale à l'avant, je dois être au dessus de l'ancre.
Je redonne une petite impulsion au guindeau, et hop, une apparition grise sous l'eau. Encore un petit coup, zut, alors, c'est notre ancre. Quelle est cette facétie ? Elle coince bêtement dans ses crocs une chaîne énorme... Réflexion, décision, action. Nous nous démenons avec Laurent pour glisser un cordage sur la chaîne captive, je redescends délicatement mon ancre.... Laurent dégage les mailles rouillées qui nous parasitent grâce au cordage. Plouf, Enfin libres !
Nouveau souci, on craint d'être en panne de gas-oil d'ici le retour. Nous savons que sur la côte ouest, la plupart des entrées de port s'ensablent et ça risque d'être scabreux de s'y engager pour faire le plein. On décide de le faire ici, ce n'est pas le pire... On nous annonce 2,20 mètres de profondeur à la station de carburant des bateaux de pêche, à condition de rester au milieu et de ne pas s'approcher de la digue d'un côté, du large de l'autre car bordés de récifs immergés. Je ne suis pas tranquille mais il nous faut du carburant.
Laurent dans le carré, les yeux scotchés à l'écran de son PC me dicte la route à suivre entre les hauts fonds... Quelle histoire ! Mais ça marche magistralement... à condition qu'il parle assez fort...
Désormais nous remontons vers le nord, nous faisons route d'un mouillage à l'autre. Des navigations du dimanche, entre 15 et 25 milles. Je me gave de bonheur avec cette croisière côtière idéale. Nous attendons le vent favorable pour quitter les mouillages, nous arrivons tôt dans les baies qui nous accueillent.

PORTIDEXXU. Un mouillage pas signalé dans le guide, épatant sous brise côtière. D'un côté il est bordé de dunes de sable, de l'autre de forêts de chênes verts. La plage pile en face est très animée, mais nous sommes tous seuls dans le mouillage.

CAP SAN MARCO. Magnifique et vaste. Nous nous installons au milieu de la baie, entre deux tours. Nous sommes à 2 km du village de San Giovanni. On se coltine la balade pour refaire provision de pain. Nous longeons un autre champs de ruines antiques avant de tomber sur la ruée des voitures vers les plages. Cela nous confirme que si les abris en mer sont presque déserts, il en va tout autrement du tourisme à terre. Le caravaning est très développé. Aux abords des villes les plages sont envahies. Dans les endroits où nous posons le bateau c'est en général tranquille et les baigneurs ne se marchent pas dessus, mais peut-être que l'accès depuis la terre n'est pas fameux, là où pénètre un voilier.

CAP SAN MANNU. Nous avons eu la sotte idée de faire confiance à la météo pour nous arrêter dans cet abri recommandé. Une nuit infernale. Le vent totalement contraire aux prévisions, pousse la houle dans le mouillage, dès notre arrivée on se dit que ce n'est guère fréquentable cet endroit, mais le vent doit virer à la tombée de la nuit. Loupé, il y a un coup de vent dominant du large qui fout la pagaille dans notre mer. Non seulement la houle est forte et nous ballote salement. Mais les touristes ont envahi l'espace avec leurs engins motorisés et font un raffut épouvantable. Il y a juste en face une toute petite île, "du mal au ventre", elle s'appelle. C'est là que nous aurions dû nous réfugier. A 6 heures du matin nous quittons cet enfer, ce maudit vent au moins doit être favorable à notre navigation... C'est un petit déjeuner bizarre ce matin. Il fait à peine jour, on avale chacun son bol le cul posé de travers dans le carré. On n'ose pas se parler Laurent et moi, nous n'avons que des plaintes à formuler et pas de temps à perdre. Pas rigolo tout ça. On se casse ? allez zou, j'empile la vaisselle dans l'évier, et en piste pour lever de l'ancre
La baie au petit jour est magnifique, les dunes brillent dans la lumière du soleil levant. La plage est déserte. On a mis les plagistes au lit avec leurs engins motorisés. quelle plénitude.
Ca se vérifie maintenant, la météo, c'est un jeu de hasard.... dès la sortie de la baie, le vent nous prend pile de face. Laurent de mauvais poil ne veut pas tirer de bords, moi, je suis dégoûtée, je n'ai pas d'opinion. Il décide de mettre le moteur. Après tout on a fait le plein de gas-oil. Une petite heure comme ça à travers des vagues de 1m50 à 2 mètres, juste assez pour l'inconfort... On passe laborieusement le cap San Mannu. Avez-vous déjà remarqué qu'après un cap difficile, la vie au quotidien devient plus savoureuse. Exactement pareil ce coup-là. Après le cap, le vent revient avec nous. Allez Laurent, rigole un peu, nous voilà repartis comme en vacances.
Une chouette navigation de 17 milles au travers. C'est l'allure que je préfère, l'amble du chameau... Un rien de roulis qui nous berce et le chuchotement de l'étrave qui fend les vagues. On oublie instantanément le cauchemar de cette nuit. C'est quoi déjà le Cap Mannu ???

Côte Ouest-retour

Nous voici donc à Bosa Marina. Encore un mouillage de plage où nous sommes les seuls à poser l'ancre dans le sable. Pourtant c'est immense et sympathiquement abrité. Il y a aussi beaucoup de touristes sur la plage, mais ils sont loin et nous transmettent juste une sorte d'ambiance de vacances fort agréable. Dans l'après-midi une exhibition de winsurf. On est au milieu du spectacle. Départ de la plage, la planche sous le bras, le harnais sanglé aux câbles des parachutes. la voile, comme une aile immense est à la verticale. Les surfeurs chaussent leur planche, ils se couchent dans l'eau, les câbles se tendent à l'oblique. la voile avale le vent et tire sur les câbles. On dirait que les planches vont décoller.ça démarre à une allure impressionnante. Les hommes comme des marionnettes sur leur planche utilisent les poignées manuelles pour diriger la voile. Lorsqu'ils veulent faire demi tour, ils se couchent dans l'eau. Et le parachute les redresse. Des espèces de tongs sont vissées sur la planche de surf, mais ces godasses ne tiennent pas aux pieds et régulièrement l'un ou l'autre se retrouve à l'eau toujours cramponné à son parachute. Il se fait ainsi traîner sur l'eau vers sa planche. Ils sont trois à s'exercer à ce jeu. Ils se croisent, s'évitent par miracle vu de notre fenêtre. Joli spectacle sur le plan d'eau. Jo, c'est un sport pour toi, cette glisse là ! Il y a aussi des véliplanchistes plus ou moins heureux dans cet espace. Les carambolages sont assez rigolos... De temps en temps ça braille. Pas un seul engin à moteur; une merveille cette plage. C'est la vie quoi.... la bonne.

Baie de Porto Conte. Cala Tramariglio.

Dernière étape de notre périple autour de la Sardaigne. Le vent est au sud. On a fait 22 milles au moteur avec une houle très chiante. Mais on oublie tout ça, ici c'est génial. Encore un mouillage idéal.
O
n s'est posé entre des collines plantées de pins et de cigales. Un peu comme chez nous quoi... Pas d'engins de plage bruyant, pas de bateaux en croisière qui s'amuse, juste quelques petites embarcations locales sur corps morts, juste une petite brise qui rafraîchit l'air sous le taud. Le soir on traîne sous les étoiles.
L'endroit idéal pour attendre la météo. Avec nos petites étapes d'un mouillage à l'autre, on a passé 5 semaines de navigation côtière de toutes beautés. Découvertes, isolement, bien-être... un peu comme lorsqu'on sort en mer le dimanche pour changer d'air, pénétrer dans de magnifiques paysages, et se réconcilier avec le monde; Ici, c'est tous les jours dimanche. On attend la bonne fenêtre météo pour traverser vers les Iles d'Hyères. Nous prévoyons d'atterrir à Port Man, île de Crau. Cela représente 170 milles, environ 35 heures de navigation. Départ demain peut-être. Si météo veut ....

Mercredi soir, je sais pas quel jour d'août, départ confirmé pour demain.

Prévision de Hambourg météo : zone Sardaigne/ouest Corse, pour jeudi matin : vent, sud 3 à 5. Après midi, sud/sud-est 4 à 5. Nuit de jeudi à vendredi, orageux, vent sud ouest 5, rafales 6/7 sous orages. Houle, 1,50 mètres. Pour l'arrivée dans l'après midi, zone Provence, Port Crau, vent sud ouest 5, mer peu agitée à agitée. samedi le vent passe au Nord, nord/ouest, avis de coup de vent sur Corse et Provence.
Discussion à bord :
- Génial, on a le vent, on va faire une traversée de rêve ! On sera arrivé juste avant la tempête.
- Dis Laurent, comment on fera sous les orages !
- On s'en fout, d'abord on les aura peut-être pas, ensuite dans notre coque alu on n'a rien à craindre...
- Sauf que sous orage en mer, je suis terrorisée. Rien que d'y penser, j'arrête de respirer tellement j'ai peur... Regarde, j'ai déjà les mains qui tremblent...
- J'te crois pas, ça c'est le café... Tu ne vas quand même pas refuser une navigation au portant ?
- !!! ??? !!!

jeudi 28 août 2003 . 7 H 15
Nous quittons la cala Tramariglio de la baie de Porto Conte juste après une dernière météo du large. Qui confirme celle de la veille. Un vent idéal bien soutenu pour faire route vers le nord, des orages tout autour du bassin, d'éventuelles rafales sous orages... Pas de quoi bouder une navigation au portant, a décidé le chef de bord, et je lui fais confiance. Enfin, je suis surtout foncièrement optimiste.
Au départ, des états d'âme un peu confus. Je ne suis pas parfaitement réveillée mais je suis quand même à la barre, en robe de chambre et en chaussettes pendant que Laurent pour une fois relève le mouillage. Il a envie de bouger. IL est plus joyeux que moi. La navigation à venir le remplit d'impatience. Je reste à la barre et peu à peu mes yeux s'ouvrent tout entiers. Nous longeons lentement au moteur la magnifique falaise d'au moins 60 mètres de haut qui borde le cap Cacia. Le site est tout bonnement extraordinaire; Nous nous offrons le luxe de louvoyer à travers les îlots semés le long des murailles de grès. Les roches ont des découpes troublantes. Lorsqu'on les approche de travers, de drôles de têtes nous font des signes de bon augure, un rien de notre imagination les anime. Mais lorsqu'on les frôle de plus près les nez s'aplatissent, les sourires se fondent dans les ombres de la roche, la barbe, les sourcils hirsutes se confondent avec les cailloux... la pierre redevient pierre, solitaire, inerte et silencieuse. Le soleil encore bas dans le ciel diffuse une lueur rose. Tout dans ce monde minéral est merveille. Imperceptiblement, notre route vers le nord nous éloigne de ce site. Mais il n'y a pas un pet de vent et même à vingt milles des côtes, alors que la Sardaigne se dissout à l'horizon, le moteur ronronne toujours. Laurent a envoyé le génois, histoire d'optimiser notre vitesse. On gagne ainsi un demi noeud, on avance donc tranquille à 5 noeuds et un peu plus...
A trente milles des côtes, ça se complique car le vent du nord des jours précédents à levé une houle sérieuse en mer. On se prend les vagues de travers, le courant nous ralentit... et nous sommes gravement secoués. Question confort, c'est pas ça du tout. Et le vent promis, soutenu, sud ouest, il souffle à moins de 6 noeuds... Restons patients, peut-être que cette brise de force 3 à 5 sera là dans l'après-midi... Pour tuer le temps, chacun son truc. Moi je me cale avec un coussin dans le dos dans le cockpit je rêvasse en admirant les vagues. Dommage, il n'y a pas un animal en vue. Les puffins me manquent. Laurent joue avec ses leurres, ses fils et son moulinet... La mer est bien jolie mais elle m'ensuque quelque peu.
Laurent me réveille en sursaut.
- Hé regarde, le repas de midi...
- Quoi, le repas, t-as déjà faim.
- Non, mais c'est moi qui régale. On va manger poisson.
Un joli poisson inconnu finit de frétiller dans l'épuisette. Il nous fera un repas, goûteux, délicat, inespéré. Elle a du bon à ce moment là, le mer.
On se traîne dans la houle, le moteur ronronne toujours. La mer s'agite de plus en plus, c'est de plus en plus inconfortable. Dans l'après-midi, elle dresse sa chevelure blanche tout autour de nous. C'est une vilaine vieille désordonnée. De temps en temps le pilote automatique est dépassé par les évènements, on part au lof, on accélère d'un coup... On est un peu bousculé. Laurent devient vaseux... Vite le radical traitement du docteur Belge... Une heure plus tard, c'est moi qui suis malade, j'ai droit aussi au remède anti mal de mer de nos amis Belges. Remède vraiment miracle.
Nous redevenons tous les deux actifs, joyeux, réveillés, détendus... Même on joue à Pyramide et on rigole de bons coups. On ne subit plus la houle, on s'y adapte. La nuit tombe vers 20H30, toujours de la mer, et toujours pas de vent. Des crêtes qui nous malmènent de temps en temps. Juste pour pas qu'on s'endorme.
C'est une nuit grise, sans lune et sans étoiles car le ciel est très couvert. N'oublions pas que des orages nous sont promis. Je redoute une bien longue nuit. Je regarde progresser l'ombre à l'horizon, et le miracle se produit à 21 heures, d'un coup notre génois se gonfle magnifiquement et on fait un bond à plus de 7 noeuds. Youpi, on envoie la grand voile. On est vent arrière, mais le vent pousse bien et malgré la houle toujours chiante avec des creux de 1,50 à 2 mètres très rapprochés, on avance enfin de manière sympa.
La nuit nous inspire, et nous n'avons envie de dormir ni l'un ni l'autre. On pense à l'avenir, à notre avenir, comment l'organiser pour continuer ensemble. On parle des prochains voyages. On imagine ce qu'on fera de Lune de Miel... C'est la nuit, alors c'est normal, on rêve. C'est génial de rêver ensemble.
Vers minuit ça se complique. Le vent a sérieusement forci, le pilote a du mal à tenir le vent arrière, on file quelquefois sur les crêtes à plus de 8 noeuds. Laurent décide de prendre 2 ris. On réduit ainsi notre grand voile de presque moitié et bien entendu on roule aussi un peu du génois, question d'équilibre.
Laurent chausse ses tennis, il se ficelle à son harnais. Avec la laisse qui lui pendouille derrière le dos, il s'arrime au pied du mat. Il est mignon comme tout avec son joli gilet rouge. J'allume la lumière du pont. Je déteste cette lampe crue, qui nous éblouit. la nuit devient toute noire. C'est effrayant. Mais faut bien réduire si on veut rester maître du navire. Je me mets face au vent et Laurent fait descendre la voile. Et là les soucis commencent. Je suis à la barre, et j'ai du mal à rester face au vent, à cause de la houle qui m'embarque de temps en temps. Je ne m'occupe pas trop de ce que fait laurent. Et je l'entends brailler.
- M....... il est descendu ou pas le premier ris ? Oh, réponds moi !
- Je suis sous le bimini à la barre, je la vois pas ta bosse de ris
- Essaie de voir, c'est laquelle que je dois tirer, la verte ou la bleue ?
Je récite, ça fait partie des bases que j'ai apprises par coeur quant à l'organisation de ce voilier.
- La première c'est la verte, la deuxième c'est la bleu.
- Bon, c'est laquelle qui descend quand je tire, la verte ou la bleue ?
Je sais pas, je ne reconnais pas le bleu du vert, c'est pas nouveau et ça te fais rire d'habitude. Pas la peine de s'énerver.
- Dis-moi si ça vient ou si ça vient pas.... J'y vois rien moi.
- Non y'a rien qui vient, tire encore...
- Et là, ça vient...
-.....
- M.... vas-tu me dire si ça vient ?
- Je peux pas te dire que ça vient puisque ça vient pas. Ta deuxième bosse de ris, elle coince. Je ne sais pas si elle est verte ou bleue, mais elle ne veut pas venir...
Dans le rôle de l'idiote empotée j'ai été géniale. Trois quart d'heures ça a duré ce cirque. Finalement, presque une heure du matin, la grand voile est enfin réduite. Laurent se déssaussissonne de son harnais. Ouf !
Enfin, j'éteins la lumière du pont; On retrouve le clair obscur de la nuit sans lune. Il n'y a que l'écume bleutée au ras de l'eau pour nous éblouir. On y voit un peu. Je me sens mieux. Aux voiles d'entrer en oeuvre.  Et le bateau ralentit, 5 noeuds, 4 noeuds, 3 noeuds...
- Qu'est-ce que tu fais, on s'arrête ?
- Ouhai, désolée, je crois qu'il n'y a plus de vent.
Les voiles battent tout ce qu'elles peuvent et la houle recommence à nous chahuter. Si vous pouviez voir notre air éccoeuré ! Moteur ! On roule le foc, on borde complètement la grand voile; Mais ce n'est pas possible, la houle est trop profonde, les vagues trop courtes et la bôme passe sans arrêt d'un bord à l'autre avec des grincements effroyables. Hé oui, Laurent, tu vas de nouveau chausser ton gilet rouge pour affaler la grand'voile et moi je vais encore stresser pendant une plombe parce que la lumière du pont nous éblouit et que nous n'avons pas la moindre idée de ce qui passe sur notre route
- T'en fais pas, on n'a pas croisé l'ombre d'un navire depuis ce matin. Et la voie est libre.
La manoeuvre d'affalement cette fois est rondement menée. C'est reparti, voile ferlée et moteur. On maintient difficilement nos 5 noeuds avec la houle qui nous freine et nous bouscule toujours. Les nuages s'effilochent sous les étoiles et n'augurent rien de bon. Nous sommes seuls et abandonnés dans une nuit qui se traîne.
Vers 5 heures du matin, Laurent dort depuis une heure. On change soudain d'allure. Je déroule le génois pour soulager le moteur et on accélère. Laurent a du entendre le roulement du winche car il se réveille.
Chouette on va couper les gaz et réinstaller la grand voile. Zou, c'est reparti. On avance à plus de 7 noeuds, allure de largue, avec une mer moins contrariante mais toujours très houleuse. Je dors depuis une heure, le jour est à peine levé.
- Vite viens m'aider, j'ai une super touche.
Je tombe de la couchette en ronchonnant, mais pas longtemps. La touche est géniale. Une superbe daurade coryphène. Ça c'est une excellente journée en perspective non ?

Dure journée pourtant. La mer se creuse de plus en plus. On avance entre 6,5 et 7 noeuds. Une bonne allure de largue avec des vagues qui passent par dessus bord et nous inondent régulièrement. Mais les milles défilent, c'est ça qu'est bon... A 15 h30 on entre dans la baie de Port Man. On croit toujours que l'arrivée au mouillage est le moment béni d'une traversée. En principe oui, mais ce n'est pas le jour. Le vent d'ouest déboule dans la baie en rafales très violentes. Notre première tentative d'ancrage décroche dès que Laurent amorce une marche arrière de test de résistance. La deuxième aussi. La troisième est la bonne. Je lâche 40 mètres de chaîne et 20 mètres de cordage. Plus on peut pas, y' du monde autour. Laurent tire avec le moteur, impec... On mange les restes de la daurade et on tombe dans notre couchette avec délice. Dormir, enfin dormir...

Un mouvement, un bruit, un choc ? Je ne sais pas quoi d'insolite me réveille.
- Laurent t'as entendu ?
Il se dresse dans le lit, les cheveux fripés et les yeux hirsutes. Pardon, je ne suis pas très claire non plus à ce moment là. Il sort la tête dehors pour savoir ce qui se passe. Il a les yeux grands ouverts mais je me rends compte qu'il ne voit rien. Il se recouche aussi sec.
- Y'a rien, dort tranquille.
Je me rendors instantanément. Bien entendu, instantanément des coups violents sont frappés contre la coque. Cette fois on bondit tous les deux en même temps.
- Vous dérapez, il faut réagir, crie un mec sur son canot à côté de nous.
Effarés, on s'aperçoit que le voilier en tirant sa chaîne et son ancre est gentiment passé à reculons entre deux autres navires et tout aussi gentiment mais sûrement glisse sur un troisième. La dame du bord a déjà ses pare-battages en mains et nous attend de pied ferme...
Il est 7 heures du soir, la nuit ne va pas tarder à tomber. Comment faire pour résoudre ce problème de mouillage qui se barre. On se concerte Laurent et moi. Entendez par là, qu'il se gratte les cheveux et que je réfléchis. Mais c'est lui qui trouve la solution. On a 60 mètres de chaîne de secours à l'arrière, il suffit de remplacer notre installation chaîne+cordage par ces 60 m. de ferraille. Si ça ne tient pas, suicide collecif.
On a fait l'animation dans toute la baie. Vous imaginez, Sortir de la cabine arrière les 60 mètres de chaîne pour les amener à l'avant. Maniller l'ancre là-dessus. Remouiller tout ce bazar. Une fois que tout est au fond, récupérer l'ancien mouillage pour le transférer à l'arrière. Y'en a plus d'un qui s'est demandé qu'est ce qu'on bricolait avec nos chaînes qui se faisaient traîner de l'arrière à l'avant, puis de l'avant à l'arrière, sur un voilier qui faisait des ronds autour d'eux. Epuisant. épuisant, mais efficace.

La nuit tombe lentement. Le croissant de lune descend derrière les chênes verts. Les rafales parfois couchent le bateau qui tire sur sa chaîne. Mais nous avons de la longueur, il est pas encore né le vent qui nous décrochera. Certain et sûr, notre nuit sera calme.
On attendra ici la météo favorable, dès que le vent passe à l'est, pour rentrer tranquillement chez nous. Nous devrions y être en fin de semaine et pour quelques mois. Venez donc nous voir dès que vous aurez un moment.